Pour la première fois, une coordinatrice d’intimité au Teatro Real

Xl_une-coordinatrice-dintimite-au-teatro-real-2024 Joyce DiDonato, Julia Bullock © Teatro Real / Camilla Greenwell

Comment aborder les scènes les plus crues ou les plus brutales d’une œuvre sans mettre les interprètes mal à l’aise, ni dénaturer la vision artistique du metteur en scène ? C’est le rôle des coordinateurs et coordinatrices d’intimité. Ita O'Brien intervient au Teatro Real.

Le Teatro Real de Madrid donne actuellement Theodora de Haendel, dans la mise en scène de Katie Mitchell qui avait été créée à Londres en 2022. Et pour la première fois, l’établissement madrilène a fait appel à une « coordinatrice d’intimité » (intimacy coordinator) pour régler les scènes les plus brutales et les plus crues de la production.

On le sait, Katie Mitchell transpose l’oratorio de Haendel à notre époque contemporaine et fait de Theodora une activiste révolutionnaire en lieu et place de la martyre stoïque. L’action est située dans la cuisine d’une ambassade où travaillent des membres d'un mouvement de résistance. Et le lieu est aussi le théâtre de scènes violentes, sanglantes et de harcèlement. Pour régler ces scènes, la Royal Opera House de Londres avait fait appel à la coordinatrice d’intimité Ita O'Brien et elle a de nouveau été sollicitée par le Teatro Real pour travailler aux côtés de Dan Ayling qui reprend la mise en scène originale de Katie Mitchell à Madrid.

Un rôle de « garde-fou dans les situations d’intimité »

Quelle est la fonction concrète d’Ita O'Brien ? Selon Joan Matabosch, le directeur artistique du Teatro Real, elle a vocation à endosser un rôle de « garde-fou dans les situations d’intimité entre deux interprètes » qui ne se connaissent pas toujours en dehors de la scène. Sa mission consiste donc « à trouver la juste manière d’aborder ces scènes de sorte que les chanteurs et chanteuses se sentent à l’aise dans leur interprétation ». Katie Mitchell précise que « dans le monde de l'après #MeToo, certaines choses ne sont plus acceptables. Nous devons respecter le fait que certaines personnes peuvent se sentir mal à l'aise avec certains spectacles. Il doit toujours y avoir consentement, car nous connaissons tous ici des cas où des situations se sont produites sur scène qui n'auraient pas dû se produire ».

La soprano Julia Bullock reprend le rôle-titre de Theodora à Madrid, qu’elle interprétait déjà à Londres. En conférence de presse, elle expliquait que travailler avec une coordinatrice d’intimité lui « permet de (s)e concentrer pleinement sur son travail pendant les représentations mais aussi pendant les répétitions, de (s)e comporter de la meilleure façon possible avec tous (s)es collègues pendant ces semaines de travail ; d'en sortir intacte et sans blessures, sans ces problèmes qui peuvent parfois affecter notre système nerveux lorsque des choses délicates se produisent ».

On se souvient qu’à Londres, la soprano s’était dite « soulagée » de la présence d’Ita O’Brien sur la production, de sorte que ce ne soit pas aux interprètes eux-mêmes de se plaindre auprès du metteur en scène de certains choix de mise en scène. À l’époque, elle précisait que « l’un des premiers sujets abordés par Ita O’Brien était le fait que seuls ceux directement impliqués dans une scène intime devraient être présents lors des répétitions ». Et de poursuivre : « Je me souviens que lors de ma toute première représentation intime, mon partenaire et moi étions vus par 50 personnes, et le chef d'orchestre demandait : "Julia ne devrait-elle pas simuler plus bruyamment sur scène ?" ».

« Servir la vision artistique des metteurs en scène »

Si le rôle de la coordinatrice d’intimité est d’accompagner les interprètes et de faire entendre leur ressenti, il n’implique pas de s’opposer au metteur en scène. L’enjeu de la fonction consiste à trouver le juste équilibre entre le confort des interprètes et le respect de la lecture originale des œuvres. Ita O’Brien est une ancienne danseuse et chorégraphe – elle a donc été à la fois la « marionnette » de chorégraphes et la « marionnettiste » d’interprètes, avant de travailler comme coordinatrice d’intimité sur des séries télévisées (notamment pour Netflix) puis pour le spectacle vivant. Elle indique avoir été parfois accueillie froidement par les metteurs en scène. Pour autant, elle souligne que son rôle consiste précisément à « servir la vision artistique des metteurs en scène, mais en améliorant la communication entre les différents membres de l’équipe artistique ».

Aujourd’hui, la fonction de coordinateur ou coordinatrice d’intimité commence à se répandre sur les scènes lyriques – et notamment en Espagne, qu’on sait très en pointe en matière de droit des femmes. Avant d’intervenir au Teatro Real (et donc précédemment aussi à Londres), Ita O’Brien avait déjà été sollicitée par le Gran Teatre del Liceu de Barcelone, en fin d’année dernière pour encadrer les interactions physiques entre les interprètes d'Antoine et Cléopâtre (déjà avec Julia Bullock). Et si Theodora marque sa première intervention à Madrid, on imagine que ce ne sera pas la dernière, en Espagne ou ailleurs.

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