Nous rapportions en octobre les difficultés financières auxquelles est confronté l’English National Opera (ENO), les décisions drastiques que cela engendre et la démission de son directeur musical, Martyn Brabbins, en signe de protestation. La situation dans laquelle nous laissions la compagnie londonienne – du moins pour le moment – interrogeait sur la suite des événements, et nous en concluions que nous n’étions pas « à l’abri de prochains épisodes plus ou moins mouvementés la concernant ». C’est aujourd’hui le cas avec un nouveau rebondissement : celui de la grève de ses employés.
Un déménagement à Manchester
Les difficultés économiques que connaît l’ENO trouvent différentes origines, mais celle principalement montrée du doigt demeure l'Arts Council England (ACE) et ses injonctions à l’égard de la maison londonienne. Rappelons que l’organisme avait décidé de supprimer l’intégralité de sa subvention annuelle de 12,8 millions de livres sterling, à moins que l’institution lyrique n’accepte de déménager. Cette dernière était parvenu à obtenir un sursit, mais le déménagement demeurait obligatoire.
Finalement, deux villes semblaient sortir du lot pour accueillir l’Opéra national : Liverpool ou Manchester. Finalement, après une année de réflexion, le choix s’est porté sur le Grand Manchester, la plus grande ville d'Europe sans compagnie d'opéra résidente. L’ENO avait alors déclaré être enthousiasmé par « les opportunités potentielles de collaboration avec l’écosystème artistique dynamique de la région, et la possibilité d’inspirer et de créer des œuvres avec et pour de nouveaux publics et communautés du Grand Manchester ».
Une situation jamais vue depuis plus de 40 ans
Selon The Guardian, les musiciens et les interprètes de l’ENO ont voté en faveur de la grève dans le cadre de la réduction des effectifs prévue. Pour rappel, l’Opéra avait décidé de supprimer 19 postes de personnel musical et de mettre le reste du personnel sous contrat à temps partiel, ce qui, selon le Syndicat des musiciens et Equity (le syndicat des industries des arts du spectacle et du divertissement au Royaume-Uni, anciennement « British Actors' Equity Association »), « menacerait les moyens de subsistance des musiciens ».
Ce scrutin a eu lieu après que la direction d'ENO a annoncé son intention de licencier l'ensemble du personnel du chœur et de l’orchestre avant de les réembaucher pendant six mois de l'année seulement. Il a même été évoqué que certains musiciens de l'orchestre se voient proposer uniquement un travail indépendant ponctuel. Naomi Pohl, secrétaire général du syndicat, a indiqué : « Tout cela est causé par le sous-financement du déménagement proposé à Manchester. La direction a décidé de réduire le travail de nos membres à six mois par an, ce qui risque de faire disparaître un orchestre merveilleux, talentueux et spécialisé. C'est navrant de voir l'impact sur les personnes touchées ». Pour elle, ce vote est « le signe de temps extrêmement difficiles pour le secteur des orchestres, et de l’opéra et du ballet en particulier ». Une décision d’autant plus marquante que cela fait 44 ans que les membres du Syndicat des musiciens n'avaient plus annoncé une grève complète.
De son côté, Paul Fleming, le secrétaire général d’Equity, a déclaré : « Le cœur de ce différend porte sur la question de savoir à qui s'adresse l'opéra dans ce pays : doit-il y avoir des emplois stables et accessibles pour les personnes de tous horizons, ou des emplois précaires limités à quelques-uns ? Le chœur ENO et le personnel créatif considèrent que l’opéra est pour tout le monde, que l’opéra n’est rien sans des conditions de travail stables, dignes et des emplois ouverts à tous. » Pour lui, la direction d’ENO « jette aux oubliettes les artistes que le public paie pour voir tout en protégeant le salaire de la haute direction. Ils proposent des licenciements et des réembauches, des réductions de salaires de 40 % et aucun emploi permanent dans une nouvelle base de Manchester ».
Les conséquence de cette décision
Ainsi, selon le vote et l’annonce ayant suivi, les membres du chœur, de l’orchestre ainsi que de l’équipe musicale de l’ENO se retireront le 1er février, lors de la soirée d’ouverture de la reprise de la production de The Handmaid’s Tale, d'autant plus attendue que l'opéra annonce la présence de l'actrice multi-primée Juliet Stevenson dans le rôle parlé du Professeur Pieixoto. Elle rejoint une distribution qui comprend notamment Kate Lindsey, John Findon, Rachel Nicholls, Avery Amereau, Nadine Benjamin ou encore Susan Bickley. Malheureusement, il n'est pas exclu que le spectacle soit annulé suite à la grève qui vient d'être votée.
Suite à cette décision, l’institution a déclaré mercredi que le différend « pourrait être mieux résolu autour de la table des négociations », et que tout en « respectant le droit des représentants syndicaux à une action revendicative dans le cadre de nos négociations en cours », elle était « déçue que cela signifie que le public manquera une opportunité de découvrir le travail et le talent de l’ensemble de la compagnie de l’ENO ».
Les tensions entre la maison lyrique, les artistes, le personnel et même le public semblent donc particulièrement présentes, et l’on peut s’interroger sur l’évolution de cette crise dans laquelle l’Opéra paraît s’enliser.
18 janvier 2024 | Imprimer
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