Marc Barrard évoque irrésistiblement la figure du grand Gabriel Bacquier. De ce maître, avec lequel il travailla durant ses années de formation, le baryton nîmois a appris l’art si pur du chant français dont il est l’un des plus éminents représentants. Et sa jovialité toute méridionale - que rehausse un accent ensoleillé - ne doit pas masquer un rare talent dont témoigne, si besoin est, une carrière construite avec autant de justesse que de diversité. A Marseille, nous l'avons retrouvé au lendemain d'une représentation de L'Aiglon (Arthur Honegger/Jacques Ibert) dans lequel il interprète le personnage haut en couleur de Flambeau.
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Comment le chant est-il entré dans votre vie ? Quel a été votre parcours ?
Au départ, j'étais peintre en bâtiment... et j'ai commencé à chanter sur mes échelles ! (rires). Plus sérieusement, j'ai passé le concours d'Alès autour de mes 18 ans, j'ai remporté le second Prix, puis je suis entré au Conservatoire de Nîmes. Peu après, je me suis fait par contre refouler de l'Ecole d'Art Lyrique de Paris, ce qui m'a beaucoup déçu à l'époque. Mes premières armes, je les ai faites au Théâtre des Arts de Rouen, grâce à Paul Ethuin, et aux Chorégies d'Orange, grâce à Raymond Duffaut, dans des petits rôles. Mon premier rôle important a été Ourrias dans Mireille au Capitole de Toulouse, en remplacement d'Alain Fondary, et peu après j'ai interprété le rôle de Figaro, celui de Rossini, à l'Opéra National du Rhin, c'était en 1988. A la même époque, j'ai eu la chance de rencontrer Gabriel Bacquier qui m'a pris comme élève, et pendant sept ans, je suis régulièrement monté à Paris prendre des cours auprès de lui. Sinon le goût du chant, je l'ai acquis grâce à ma mère qui, quand j'étais tout gamin, m'a amené voir Les Cloches de Corneville à l'Opéra de Nîmes. J'ai adoré cette expérience, j'y suis beaucoup retourné ensuite... et me suis dit que ça serait bien de faire la même chose ! (rires)
Après avoir chanté le rôle de Metternich, ici-même à Marseille en 2004, vous interprétez cette fois celui de Flambeau... Que pouvez-vous nous dire sur ces deux personnages, et comment les avez-vous abordés ?...
Pour tout vous dire, je suis venu à Marseille sur cette production de L'Aiglon pour remplacer un collègue défaillant, et j'ai dû apprendre le rôle en une semaine ! A l'époque, j'avais trouvé le rôle un peu ingrat, même si Caurier et Leiser lui donne beaucoup d'importance dans leur production, en le faisant rester sur scène même quand il n'a rien à chanter... Ce n'est pas que je n'aime pas jouer les rôles de méchants, mais je me sens plus proche du personnage de Flambeau, que j'interprète cette fois. C'est un personnage haut en couleurs et plein de générosité qui n'a pas d'existence historique, mais qui représente les Grognards dans leur globalité. Je prends beaucoup de plaisir à l'incarner sur scène.
Que pouvez-vous nous dire également sur la mise en scène du duo Caurier/Leiser, reprise par Renée Auphan, à laquelle vous participez pour la quatrième fois ?...
Je me rappelle de conditions difficiles de travail avec Caurier et Leiser, ils n'ont pas un caractère facile, mais j'ai trouvé très « classe » leur production, très belle visuellement parlant, avec une direction d'acteurs sobre et intelligente. C'est aussi la marque de fabrique de Renée Auphan... elle a donc dû se glisser sans problème dans leurs bottes. La particularité de Renée est qu'elle a été chanteuse avant de se mettre à la mise en scène, et qu'elle connaît donc les choses de l'intérieur, si je puis dire. Elle a apporté un autre regard sur certains personnages, et c'est tant mieux, car ce n'est pas très marrant de refaire toujours la même chose quand on rejoue plusieurs fois dans la même production ! (rires)
La Musique française est le pivot de votre répertoire...
Oui, c'est d'une part par goût personnel, mais aussi du fait des choix des directeurs de théâtre. Cela dit, au début de ma carrière, j'ai beaucoup chanté le répertoire italien. Vous savez, à l'époque, à part à Toulouse sous le mandat de Nicolas Joël, Montpellier sous celui de Henri Maier - et bien sûr Avignon avec Raymond Duffaut -, je trouve que la musique française n'était pas si bien défendue que ça dans notre pays... C'est Gabriel Bacquier qui m'a appris à aimer ce répertoire, en me faisant travailler ce qui fait la spécificité du chant français : le goût du mot, le phrasé, l'articulation.
Quel genre de personnages aimez-vous incarner sur scène ?
Mon personnage fétiche, que je pourrais chanter à longueur d'année, c'est Golaud (NDLR : dans Pelléas et Mélisande). C'est un héros d'une complexité inouïe, qui ne peut pas se résumer au seul adjectif de méchant. La seule chose qui lui fait défaut, c'est l'humour, sinon ses caractéristiques sont multiples : c'est un jaloux, un faible, un enfant, un violent, un désespéré... ses facettes sont infinies, et c'est ce qui me plaît beaucoup avec ce rôle. Sinon, oui, j'aime bien jouer les méchants, c'est attirant d'aller vers ce qu'on n'est pas, et je me sens ainsi très attiré par Scarpia, par exemple, c'est un personnage tellement fascinant et jusqu'au-boutiste. Mais on ne me l'a jamais proposé, je pense qu'on privilégie des voix plus sombres et corsées que la mienne ?...
Aimez-vous chanter en récital, juste accompagné par un piano ?
Pour tout vous dire, on ne me le propose pas, alors je n'en fais jamais ! (rires) Sinon oui, j'aimerais bien...mais on me dit qu'il n'y pas vraiment de public pour ça, ou qu'il faut avoir vraiment un nom pour que ça marche... Alors ma foi...
L'Opéra de Marseille revêt une place particulière dans votre carrière...
D'abord j'ai quasi débuté ici, en chantant des rôles de seconds plans, du temps de Jacques Karpo, fin des années 80 et débuts des années 90. J'y suis revenu pour chanter dans Werther, en 1998, et depuis j'y viens de manière très régulière en effet. Et je dois bien avouer que j'adore cette maison qui est à l'image de la ville, c'est à dire très vivante, avec un public passionné, qui réagit et qui est très connaisseur de la chose lyrique. Et puis, j'y venais souvent voir des spectacles quand j'étais jeune : j'ai ainsi pu entendre Carlo Bergonzi dans Paillasse, Grace Bumbry dans Les Troyens, Raina Kaibavanska dans Adrianna Lecouvreur et Tosca etc. Enfin, j'ai des rapports d'amitié très forts avec Maurice Xiberras (NDLR : le directeur de l'Opéra de Marseille), et je trouve qu'il fait un travail formidable ici à Marseille. Bref, c'est un peu comme une boucle si vous voulez...
Comment voyez-vous l'évolution du monde de l'opéra ?
J'entre dans ma 30ème année de carrière, et déjà en 1986, j'entendais dire par les chanteurs de l'époque – Alain Vanzo, Michel Trempont, Charles Burles – que le métier changeait, que ce n'était plus comme avant. Bon, on dit peut-être tous ça, mais ce qui est vrai, c'est qu'il y a beaucoup de petits théâtres qui ont fermé et qui servaient de tremplin pour les jeunes à l'époque - comme Sète ou Béziers pour parler de ma région... Du point de vue économique, on ressent bien la Crise, les budgets sont en baisse constante, les cachets ont tendance à diminuer aussi... Mais à titre personnel, je n'ai pas à me plaindre car j'ai un planning très chargé.
En dehors du chant, vous intéressez-vous à d'autres choses capables de l'enrichir ?
Vous savez, ce qui permet vraiment d'enrichir tant le chant que le jeu d'un artiste, c'est la vie, tout simplement, avec ses joies, ses peines, ses coups durs... Sinon, mon jardin secret, c'est le jardinage justement ! (rires) J'adore me retrouver dehors, être dans la Nature et marcher. Cela me procure de la sérénité, et pour bien chanter, il faut être bien dans son corps et dans sa tête. Nous avons un métier très stressant, et il faut trouver des solutions pour décompresser et se régénérer. En cela, oui, le contact avec la Nature m'apporte un vrai équilibre. Une autre chose qui m'apaise beaucoup - et me remplit de joie-, c'est d'écouter Montserrat Caballlé ! Elle me ravit à chaque nouvelle écoute, et me surprend sans cesse... elle est pour moi la référence absolue !
Quels sont aujourd'hui vos souhaits en terme d'évolution ?
J'aimerais bien chanter plus de rôles du belcanto italien, des rôles de barytons bouffes, le rôle de Bartolo du Barbier... Comme vous savez, mon modèle est Gabriel Bacquier dont c'était le répertoire de prédilection. D'ailleurs dans Bartolo, il était inapprochable. Sinon, même si j'ai chanté de nombreuses fois Golaud – et que ce n'est pas - à proprement parler - une évolution dans ma carrière -, j'ai envie de chanter ce rôle, encore et encore, car à chaque fois queje l'interprète, je découvre de nouvelles facettes de ce personnage. Bacquier me disait toujours « Golaud a changé ma vision du chant » ; de mon côté, ce personnage demeure un mystère, dont j'essaie de percer le secret à chaque fois que je le reprends...
Dans quels théâtres allons-nous vous retrouver prochainement ?
Et bien au sortir des représentations marseillaises de L'Aiglon, je vais me rendre à Nice pour répéter Les Huguenots de Meyerbeer, qui seront donnés en mars, et dans lesquels j'interpréterai le rôle de Nevers. Ensuite, je reviendrai ici à Marseille pour chanter Don Alfonso dans Cosi, puis ce sera le tour des Chorégies d'Orange pour chanter Sharpless dans Madama Butterfly. On peut trouver ce dernier rôle ingrat, mais moi je prends beaucoup de plaisir à interpréter ce personnage. Enfin, à la rentrée, j'effectuerai deux prises de rôle, en chantant d'abord Claudius dans Hamlet d'Ambroise Thomas, à nouveau à Marseille, puis le Comte Des Grieux dans Manon Lescaut, à l'Opéra de Monte-Carlo. Comme vous voyez, je ne vais pas chômer ! (rires)
Propos recueillis à Marseille par Emmanuel Andrieu
21 février 2016 | Imprimer
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