Vendredi soir se tenait à l'Arsenal de Metz la cérémonie des 27e Victoires de la Musique Classique, « célébrant la musique classique à une heure de grande écoute ». Une soirée qui, selon les termes des maîtresses de cérémonie Judith Chaine et Leïla Kaddour, s'annonçait « comme celle de la jeunesse, comme celle du renouveau » et était également placée sous le signe de la tranmission. Pour sa part, David Reiland était à la tête de l'Orchestre symphonique de Metz pour cette soirée qui a réuni 1 084 000 spectateurs (soit 5.8% de part d’audience), ce qui est en soi une victoire pour la musique classique ! Une édition qui a vu deux Victoires d'honneur (Anna Netrebko et Philippe Jaroussky) mais aussi, fait très rare, deux vainqueurs ex-aequo dans la catérogie artiste lyrique : Karine Deshayes et Benjamin Bernheim. Retour donc sur les temps forts de cette soirée surprenante.
Après une ouverture musicale (3ème mouvement du concerto pour violon de Tchaïkovski) servie par la violoniste Lisa Batiashvili « que l'on s'arrache sur les scènes du monde entier », Kévin Amiel est le premier artiste lyrique à se présenter. Nommé dans la catégorie Révélation artiste lyrique, le ténor interprète brillamment « La Danza » de Rossini au rythme entraînant, comme le nom de l'air l'indique. Le virtuose Alexandre Kantorow prenait alors place au piano pour le Concerto pour piano et orchestre no 5 de Saint-Saëns, également appelé L'Egyptienne. Le musicien, nommé dans deux catégories, soliste instrumental de l'année et enregistrement de l'année (il repartira avec les deux prix), laisse ensuite place à Jodie Devos également nommée dans cette dernière catégorie avec son disque Offenbach Colorature. C'est donc tout naturellement que l'air choisi est signé par le compositeur célébré sur cet album, et c'est avec un réel talent et une belle incarnation que la soprano interprète « Conduisez-moi à celui que j'adore », de Robinson Crusoé.
La soirée fera donc alterner musique et chant, au même rythme que les artistes, comme Raphaëlle Moreau (violoniste) et Marie Perbost qui suivent. La seconde interprète l'air de la Folie dans Platée de Rameau avec une réelle conviction et une « folle » incarnation ! Grands yeux, cheveux détachés, attachés, décoiffés, mains en avant, rire fou, extravertie... avant de clore sur un extrait de Céline Dion, « Pour que tu m'aimes encore » ! Un investissement scénique qui paie puisque la soprano a finalement remporté le pris de la Révélation qui lui avait échappé en 2018 (alors face à Chloé Briot et Eva Zaïcik), mais aussi de quoi donner envie de la voir dans Platée à Toulouse le mois prochain dans la mise en scène de Shirley et Dino. Juste après, la troisième nommée dans la catégorie Révélation artiste lyrique se présente sur scène dans une ambiance radicalement différente avec « Sovvente il sole » d'Andromeda Liberata (Vivaldi). Le mezzo d'Adèle Charvet y trouve toute sa place aux côtés du violon de Théotime Langlois de Swarte. Le chant aux couleurs mordorées et ambrées se montre parfaitement soutenu par une prononciation impeccable.
La cérémonie a également été l'occasion de rendre hommage à deux voix « à jamais immortelles » qui nous ont quittées cette année : Jessye Norman et Mirella Freni. Dans une belle idée de transmission, nous passons donc de ces deux immenses cantatrice à la remise du prix de la Révélation artiste lyrique remis par Karine Deshayes, dont la première nomination remonte à 2002 et qui avait jusqu'à ce soir reçu déjà deux Victoires de la Musique Classique. Un chiffre qui va augmenter au cours de la soirée, mais nous y reviendrons un peu plus loin.
S'en suit l'intervention musicale de Gabriel Pidoux au hautbois pour un concerto de Mozart, mais aussi et surtout un moment très attendu de la cérémonie : la venue sur la scène de l'Asenal de Metz de la diva russe Anna Netrebko pour sa Victoire d'honneur. Toute de blanc vêtue, d'une grande élégance, elle a gratifié le public de l'air « Depuis le jour » de Louise (Charpentier) qu'elle avait gravé au disque dans Souvenirs en 2008 chez Deutsche Grammophon. Le public est captivé par cette intervention et lui offre une standing ovation tandis qu'elle remercie en français et se dit heureuse et honorée. Le fait d'avoir opté pour un air français était également, on s'en doute, une manière de saluer le public de la soirée. Magali Monnier (flûtiste), avec Orphée et Eurydice de Glück, propose à son tour une parenthèse enchanteresse avec la scène des Champs-Elysées avant que Bertrand Chamayou ne remette le titre de Révélation soliste instrumental à Gabriel Pidoux.
Petite variation de cette édition, la venue d'un humoriste belge, Alex Vizorek, qui rend hommage au compositeur Beethoven. Une manière de palier à la longueur de la cérémonie et de lui donner un second souffle avec un rythme différent, tout en ouvrant les Victoires à une culture plus populaire. Une idée que l'on espère voir renouvelée l'année prochaine et qui était une façon originale d'introduire le final de la 7ème symphonie du compositeur. On rappelle ensuite les différentes Victoires de Philippe Jaroussky, dont la première remonte à 2004, lorsqu'il est élu Révélation artiste lyrique et reçoit son trophée des mains de Roberto Alagna. Il a multiplié depuis les Victoires dans différentes catégories en 2007, 2008 et 2010 (pour ne citer que ces Victoires). Cette année célèbre ses 20 ans de carrière avec non seulement l'édition de son coffret Passion Jaroussky, mais aussi l'inauguration de sa statue au musée Grévin et, ce soir, la remise d'une Victoire d'honneur après son interprétation de « Eja Mater » (Stabat Mater, de Vivaldi) aux côtés de Julien Chauvin et du Concert de la Loge. Un air qu'il enchaîne avec La Danse macabre de Saint-Saëns, une petite surprise de sa part. Il rappelle au passage, dans son discours, qu'il est le premier artiste Révélation lyrique à recevoir une Victoire d'honneur. Il cède la place ensuite à Karine Deshayes qui chante « Ô ma lyre immortelle » de Sapho (Gounod) afin de défendre sa nomination dans la catégorie Artiste lyrique, un prix déjà reçu en 2011 et 2016. On retrouve alors l'interprète formidable qu'elle est et qui nous emporte dès les premières notes dans l'histoire qu'elle conte. A n'en pas douter, un autre moment de grâce de la soirée qui ne peut laisser l'auditoire indifférent.
Alexandre Kantorow reçoit ensuite sa deuxième récompense de la soirée, celle de soliste instrumental de l'année (après la Victoire de l'enregistrement de l'année), puis c'est au tour d'Elsa Dreisig, nommée dans la catégorie Artiste lyrique, de venir sur scène pour Morgen de Strauss, rappelant son dernier disque ou encore le concert donné au TCE en janvier dernier. Place ensuite à la cheffe mexicaine Alondra de la Parra pour la Danzon n°2 d'Arturo Marquez, pièce la plus jouée en 2019, devant le Boléro de Ravel qui tenait jusque-là cette position. Une oeuvre dont toute la puissance et l'engagement ressortent sous cette direction féminine.
Place ensuite à u moment toujours attendu des lyricomanes : la remise du titre d'artiste lyrique de l'année. Un cas toutefois très exceptionnel cette année puisque ce n'est pas un mais deux noms qui ressortent de l'enveloppe avec un ex-aequo atypique mais pas immérité : le prix récompense Karine Deshayes, qui partage sa Victoire avec l'ensemble des nommés, mais aussi Benjamin Bernheim qui ne pouvait malheureusement pas être présent ce soir. En effet, le ténor est actuellement en pleine répétition pour la Manon qui débutera à l'Opéra de Paris dès mercredi. Il tiendra le rôle du Chevalier Des Grieux en alternance avec Stephen Costello dans la mise en scène de Vincent Huguet. Quant à la mezzo-soprano, elle fera ses débuts dans le rôle du Compositeur dans Ariane à Naxos à Montpellier en avril, aux côtés notamment de Jodie Devos.
La soirée se dirige ensuite sur sa fin avec un arrangement inédit de la Rhapsody in blue de Gershwin par le Quatuor Ellipsos et la pianiste Marie-Josèphe Jude, ainsi qu'un extrait des Bains macabres de Guillaume Connesson (compositeur récompensé l'an passé), oeuvre que nous avons eu le plaisir de découvrir au Théâtre de l'Athénée en janvier dernier. Nous retrouvons donc Sandrine Buendia et Romain Dayez, créateurs des rôles de Célia et Mathéo. Enfin, nous retrouvons la catégorie "compositeur" avec Francesco Filidei pour L'Inondation créée à l'Opéra Comique, Betsy Jolas et Camille Pépin, qui reçoit cette Victoire pour The Sound of Trees, pour clarinette, violoncelle solo et orchestre. avant que la traditionnelle Marche de Radetzky de Johann Strauss ne vienne mettre le point final de cette belle soirée disponible en replay.
Palmarès complet des Victoires de la Musique Classique 2020 :
Soliste instrumental :
Alexandre Kantorow, piano
Artiste lyrique :
Benjamin Bernheim, ténor
Karine Deshayes, mezzo-soprano
Compositeur :
Camille Pépin - The Sound of Trees, pour clarinette, violoncelle solo et orchestre (création / France)
Enregistrement :
Saint-Saëns - Piano Concertos Nos. 3, 4 &5 “L’Egyptien” - Alexandre Kantorow - Bis
Révélation, soliste instrumental :
Gabriel Pidoux, hautbois
Révélation, artiste lyrique :
Marie Perbost, soprano
Victoires d’honneur :
Philippe Jaroussky, contre-ténor
Anna Netrebko, soprano
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