Se déplacer Porte de Pantin depuis janvier 2015 est devenu un acte on ne peut plus normal pour les amateurs de musique. De larges pans de la programmation symphonique de la Philharmonie de Paris n’échappent pas à une logique de réplication, en proposant inlassablement les mêmes artistes et les mêmes œuvres chaque année : tout le monde est bien là, comme dans la plupart des grands pôles européens. Concernant le registre lyrique, le complexe de la Villette trace son chemin pour se placer en contre-pouvoir stratégique des autres institutions parisiennes.
L’Orchestre de Paris est un des piliers de la Philharmonie de Paris, ayant pris part à sa structure en 2019. Sa saison, très portée sur la voix, prolonge son sillage exigeant. Sont prévus une Huitième de Mahler par Daniel Harding, des lieder de Strauss avec Renée Fleming, un Gloria de Poulenc sous la baguette de Lorenzo Viotti avec Sabine Devieilhe, qui interprétera lors d’une autre soirée avec Pablo Heras-Casado des extraits de L’Enfant et les sortilèges et Cinq Mélodies populaires grecques de Ravel. Pour le répertoire opératique, Elektra sera énergisé par Iréne Theorin, aux côtés de Lise Davidsen, Anne Larsson, Stefan Vinke et Peixin Chen, dans les inspirations musicales d’Esa-Pekka Salonen. François-Xavier Roth (artiste associé), Marie-Nicole Lemieux, Loïc Félix et Vincent Le Texier défendront les folles dimensions de Roméo et Juliette, symphonie dramatique de Berlioz. Au cours de la 2e Biennale Pierre Boulez sera donné Le Visage nuptial par Audrey Luna et Aude Extrémo. L’horizon d’un avenir fait d’une présence accrue de cheffes motive l’Orchestre de Paris à accueillir Ariane Matiakh pour diriger Penthesilea de Pascal Dusapin, du nom de la reine des Amazones (Christel Loetzsch) succombant sous la lance d’Achille (Georg Nigl), avec aussi au casting Marisol Montalvo, Davóne Tines et Noa Frenkel. Karina Canellakis fera voyager la formation au pays du Stabat Mater d’Arvo Pärt et de la Messe glagolitique de Janáček avec Aušrinè Stundytè, Jennifer Johnston, Stefan Vinke et Mikhail Petrenko. À noter : la création cette année d’une académie de cheffes d’orchestre : La Maestra.
La compositrice Olga Neuwirth fera une halte au cours du Festival d’Automne à Paris pour The Outcast, œuvre dans laquelle le narrateur de Moby Dick est une femme, Ishmaela (Susanne Elmark, qui partagera l’affiche avec Otto Katzameier, Andrew Watts, Georgette Dee, Johan Leysen et Steve Karier). Matthias Pintscher animera son Ensemble Intercontemporain et l’Orchestre du Conservatoire de Paris. Autre temps fort du Festival : Dienstag aus Licht de Stockhausen, troisième partie du cycle Licht entamée par Maxime Pascal, Le Balcon, Nieto et Damien Bigourdan – après Donnerstag et Samstag. On prend les mêmes Eva (Élise Chauvin et Léa Trommenschlager) et Lucifer (Damien Pass), et on recommence… autrement ! L’ensemble Les Siècles, Amélie Raison, Pauline Leroy, Martial Pauliat, Renaud Delaigue et le danseur François Chaignaud feront scintiller Les Noces, quatre tableaux de Stravinski chorégraphiés pour les Ballets russes.
Cette pièce sera reprise par l’Orchestre et le Chœur du Mariinsky sous la direction de Valery Gergiev pendant un week-end thématique du compositeur, accolée à ses Requiem Canticles et à Œdipus Rex. On entendra la même équipe dans La Khovanchtchina de Moussorgski, avec un certain nombre de chanteurs qu’on avait repérés dans Guerre et Paix il y a quatre ans à la maison mère à Saint-Pétersbourg.
Pendant le week-end « Au féminin », l’Orchestre et le Chœur du Théâtre Bolchoï, emmenés par son directeur musical Tugan Sokhiev, joueront La Fiancée du tsar, opéra de Rimski-Korsakov d’inspiration belcantiste, sur la disparition brutale de l’épouse d’Ivan le Terrible quelques jours après leur mariage, et Katerina Ismaïlova de Chostakovitch (version remaniée de Lady Macbeth de Mzensk en 1963 suite à son interdiction dans les années 30, dans un livret édulcoré, mais dans une orchestration magnifiée). Anna Nechaeva sera l’objet de l’attention, entre le beau-père Andrii Goniukov, le mari Eduard Martynyuk et l’amant Oleg Dolgov.
L’Orchestre National et le Chœur du Capitole de Toulouse garderont le chef de l’institution moscovite pour l’oratorio The Promised Land de Saint-Saëns, que Nicole Car, Kate Aldrich, Cyrille Dubois et Étienne Dupuis chanteront en solistes. Le Berliner Requiem de Weill sera l’affaire de Matthias Pintscher et de l’Ensemble Intercontemporain, tandis que l’Orchestre de chambre de Paris montrera sa spiritualité sur le Requiem de Mozart avec son nouveau directeur musical Lars Vogt, et sur la Passion selon Marc de Michaël Levinas, chemin de traverse entre Bach et l’Holocauste, incarné par Magali Léger, Marion Grange, Guilhem Terrail et Mathieu Dubroca. Pygmalion et Raphaël Pichon offriront la Passion selon saint Matthieu à Stéphane Degout, Julian Prégardien, Hana Blažíková, Lucile Richardot ou Tim Mead. Les Arts Florissants célébreront Bach à travers le Magnificat (par William Christie) et clôtureront le cycle de madrigaux de Gesualdo (par Paul Agnew) initié en 2018. Les Talens Lyriques et le Chœur de chambre de Namur bénéficieront eux aussi de soirées très attendues menées par Christophe Rousset : le Ballet royal de la naissance de Vénus de Lully (faisant cohabiter Déborah Cachet, Bénédicte Tauran, Ambroisine Bré, Guy Cutting, Philippe Estèphe et Guillaume Andrieux) et Armida de Salieri (terrain de jeu de Lenneke Ruiten, Teresa Iervolino, Vannina Santoni et Ashley Riches). Teodor Currentzis entraînera son ensemble MusicAeterna dans les richesses harmoniques de Rameau grâce à l’agilité de Nadine Koutcher.
Une jeune distribution traversera aussi Mitridate, re di Ponto, composé par Mozart à 14 ans. Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre feront vibrer le Néo-Zélandais Pene Pati, Julie Fuchs, Sarah Aristidou, Elsa Dreisig, Jakub Józef Orliński, Adriana Bignagni Lesca et Jonathan Winell. Le Freiburger Barockorchester et la Sing-Akademie Zürich, dirigés par René Jacobs, présenteront Le Freischütz de Weber avec Polina Pastirchak, Maximilian Schmitt, Arttu Kataja, Max Urlacher, Johannes Weisser et Kateryna Kasper. Outre une Neuvième de Beethoven, Jordi Savall et Le Concert des Nations donneront des lettres de noblesse à La Création de Haydn et à Teuzzone de Vivaldi (dans une mise en espace de Chen Shi-Zheng).
Des chefs et des pointures, toujours : Sir Simon Rattle pour Wozzeck, avec Christian Gerhaher, Anja Kampe, Thomas Blondelle, John Tomlinson, Peter Hoare ; Massimo Zanetti à la baguette sur I due Foscari, laissant la parole à Plácido Domingo, Arturo Chacón-Cruz, Anna Pirozzi, Alexander Vinogradov et Erika Beretti ; Yannick Nézet-Séguin et l’Orchestre du Metropolitan Opera pour les deux soirées de clôture de la saison, où seront exécutés l’acte I de La Walkyrie par Christine Goerke, Brandon Jovanovich et Günther Groissböck, et des extraits des Troyens par Joyce DiDonato (qu’on entendra aussi dans son album Songplay en janvier).
Il ne faut pas oublier que les meilleurs talents ont été étudiants un jour : Le Tour d’écrou de Britten échoira d’une version mise en scène par Brigitte Jaques-Wajemann au Conservatoire de Paris (voisin) avec l’orchestre associé et les élèves chanteurs.
D’autres stars lyriques seront bien évidemment de la partie lors de récitals-événements : Anna Netrebko, Cecilia Bartoli, Kristine Opolais, Diana Damrau (en tandem avec Nicolas Testé), ou Patrizia Ciofi (dans un programme Bizet avec Cyrille Dubois et Jérôme Boutillier) pour ne citer qu’elles.
Au détour d’un grand week-end de lieder et mélodies, en janvier, on pourra croiser Florian Boesch dans Le Voyage d’hiver, la voix de Josep-Ramon Olivé et la guitare de Thibaut Garcia, Élise Chauvin, Marlis Petersen, deux ténors père et fils (Christoph et Julian Prégardien).
Les enjeux de la Philharmonie de Paris sont sans conteste internationaux, et c’est avec plaisir qu’on voit la saison s’ouvrir à l’Orchestre symphonique kimbanguiste de Kinshasa pour la Messe en ut majeur de Beethoven, ou à l’Orchestre symphonique de Shanghaï pour Le Chant de la terre de Mahler. L’opéra traditionnel chinois Le Palais de l’éternelle jeunesse, par le Shanghai Zhang Jun Kunqu Art Center, représentera une partie du patrimoine immatériel de l’humanité perpétué par le pays.
La Philharmonie de Paris couvre enfin un riche volet éducatif et familial, avec des cycles de cours et activités adaptés pour tous les âges (dès 3 mois !). La Philharmonie des enfants sera inaugurée en février 2021 et proposera un parcours sensoriel pour les 4-10 ans désireux de s’immerger dans la grande aventure de la musique.
Tout cela aura lieu la saison prochaine. Pour l’instant, on peut s’occuper dans son confinement en réécoutant des concerts sur Philharmonie Live et en feuilletant les ressources numériques de la médiathèque. Se déplacer Porte de Pantin redeviendra à l’avenir un jeu d’enfant.
Thibault Vicq
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16 mars 2020 | Imprimer
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