Le point de vue d’Alain Duault : le grand cru de l'Opéra de Baugé 2024, L'Elixir d'amour

Xl_opera-de-bauge-2024-elixir-damour-alain-duault © Opéra de Baugé

Chaque été, l’Opéra de Baugé convie les amateurs d’art lyrique dans son parc des Capucins à l’occasion d’un festival bucolique. Pour son édition 2024, entre une Carmen de Bizet et un Don Carlo de Verdi, le deuxième acte champêtre de Baugé se compose de L’Elixir d’amour de Donizetti, défendu notamment par la soprano coréenne Yae-Eun Seo. Le point de vue d'Alain Duault.

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Le deuxième titre de l’édition 2024 de l'Opéra de Baugé était L’Elixir d’amour que, dit-on, Donizetti écrivit en quinze jours : c’est une petite merveille de vivacité plaisante, dans la filiation rossinienne et l’esprit de la comédie napolitaine. La trame du livret en est d’une simplicité qui ne cherche pas de complications excessives : Adina, une jeune fermière, qui lit la légende de Tristan et Yseult, s’y amuse de l’histoire du philtre d’amour qui rend Tristan irrésistible pour Yseult. Nemorino, le jeune cultivateur qui en pince pour la belle, est fort intéressé par ce breuvage aux vertus magiques : il va le trouver de manière inattendue grâce à un charlatan de passage, Dulcamara, qui vend un élixir chargé de secourir tous les maux et, bien sûr, d’apporter l’amour. Mais, Dulcamara nous l’apprend en aparté, cet « élixir » n’est que du bordeaux, et le malheureux Nemorino qui force un peu dessus va se retrouver plutôt éméché ! Pourtant tout se terminera bien, Nemorino ayant reçu le meilleur des élixirs pour séduire sa belle, un gros héritage qui le pare de toutes les séductions. Dulcamara pourra ainsi vendre tout son stock après un délicieux duo tout en vocalises accélérées, signe de sa complicité avec Adina, un duo qui précèdera le « tube » de cet Elixir d’amour, l’air de Nemorino, « Una furtiva lagrima », cette larme furtive qu’il croit avoir vu dans l’œil d’Adina et qui le rend tout chose.

Cette exquise romance, ouverte par un solo de basson avec arpèges de harpe et cordes en pizzicati, est portée par un souple dessin, celui d’une pure respiration amoureuse, avec cette tendresse voilée qui touche au cœur. Car sans rien de métaphysique, cet Elixir d’amour n’est pas dépourvu de couleurs nostalgiques : c’est aussi ce qui fait son charme. Et c’est ce qui fait la réussite de la très fine mise en scène de Bernadette Grimmett, parfaitement inscrite dans l’italianita avec des éléments de décors qui la reflètent, poutres de ferme, gerbes de blé, et des costumes qui sont des signes. De ce point de vue, sa vision de cet opéra, explicitée par son texte dramaturgique dans le programme, dit bien qu’elle prend au sérieux cette comédie, non pas en la plombant mais en en proposant une vision qui en souligne le charme plutôt que la farce.

En regard, la direction du grec Konstantinos Diminakis est à l’écoute de la mise en scène, élégante, fluide, réactive, sans jamais appuyer les effets, quasi mozartienne. On sent l’adéquation avec son orchestre, aux couleurs aérées, aux saveurs goûteuses, avec des bois caressants (la clarinette, le basson !), on sent aussi sa passion des voix, car il respire véritablement avec la distribution, tout à fait homogène, qui sert ce bijou.

Cette distribution est dominée par la soprano coréenne Yae-Eun Seo qui, sur les pas d’une Sumi Jo, sait faire entendre en Adina une voix au timbre de cristal mais qui ne se limite pas à la virtuosité : sa sensibilité délicate, ses moments plus tendres, les couleurs subtiles et émouvantes dont elle sait parer son chant, sans rien perdre de l’agilité virtuose qui éclate dans le formidable duo avec Dulcamara au deuxième acte, tout construit ce personnage un rien tourmenté. Ce Dulcamara, le baryton australien James Roser, est exemplaire : il a d’abord un timbre sonnant, aux couleurs chaudes, à la projection assurée mais il maitrise aussi la virtuosité étourdissante du duo « Bella Adina », avec son implacable staccato, il sait jouer de son charlatanisme en n’esquivant pas le second degré qui rend le personnage si sympathique, il habite le rôle avec une sorte de gourmandise qui se partage. Un régal ! Et on n’oublie pas le ténor anglais Dominic Bevan, ténor léger mais jamais mièvre, timbre clair et phrasés soutenus, tout en couleurs pastel qui sait être émouvant dans son « Una furtiva lagrima » chanté à fleur de lèvres sans jamais rien souligner, comme un aveu simplement énoncé.

On n’aura garde d’oublier les chœurs, épatants de fraicheur et de dynamisme, avec pour les paysannes des costumes qui sont un bonheur pour les yeux. Oui, cet Elixir d’amour gouleyant à souhait se boit sans modération. Une vraie réussite, idéalement dans l’esprit d’un festival champêtre comme Baugé !

Alain Duault
Opéra de Baugé

Le grand cru de l'Opéra de Baugé 2024 : 

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