Elle a beau avoir vingt et un ans, la production de Willy Decker tient encore la route pour ce Vaisseau fantôme qui enthousiasme l’Opéra Bastille ! Est-ce à dire qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre ? Sans doute pas car on n’y lit pas une perspective originale et le parti-pris du décor unique n’aide pas à déployer l’action.
Pour autant, ce décor est beau, vaste salle d’une grande maison bourgeoise en bord de mer, avec un minimum de meubles, quelques chaises, un grand tableau montrant un vaisseau aux prises avec des flots déchainés, tout cela admirablement éclairé dans des camaïeux de bleus du meilleur effet. Une indication pourtant : la porte qui donne sur la mer est si immense que la jeune Senta peine à se hisser jusqu’à elle, comme si tout cela n’était que le fantasme d’une petite fille à qui l’on a lu un conte qui l’exalte et la transporte. Néanmoins, cette indication ne se déploie pas dans une direction d’acteurs qui creuserait cette piste et reste dans un bon aloi où tout est bien joué mais où rien ne bouleverse. Quand on se souvient du même Vaisseau fantôme réinventé à Bayreuth, cet été, par Dmitri Tcherniakov, on mesure l’écart entre une bonne et honnête mise en scène, celle qu’on (re)voit à l’Opéra Bastille, et une re-création, celle qu’on a découverte à Bayreuth.
Le Vaisseau Fantôme, Opéra Bastille © Elisa Haberer / ONP
Le Vaisseau Fantôme, Opéra Bastille © Elisa Haberer / ONP
Quoi qu’il en soit, le spectacle a au moins le mérite de suivre l’action, de brosser les caractères, de raconter élégamment cette histoire d’une jeune femme, Senta, dont la découverte de la légende du Hollandais volant se confond avec sa propre découverte du désir. On la voit exaltée, ravagée, hagarde, dépossédée d’elle-même jusqu’à l’hystérie. Ricarda Merbeth la chante en belle wagnérienne, avec ce timbre toujours projeté vers des aigus dardés qui expriment bien son tourment, même si le bas médium de sa voix se voile par instant. Elle fait passer le frisson de Senta, non seulement dans sa Ballade mais plus encore dans le duo avec le Hollandais et dans la scène finale, qui la voit transfigurée. Encore une fois, ce n’est pas une conception qui s’affirme, ce n’est pas la braise ardente d’Asmik Grigorian à Bayreuth, mais c’est une interprétation qui dessine parfaitement le personnage. Daland, son père, est une figure habituelle de Bayreuth, Günther Groissböck (il y était, cet été, dans la distribution des Maîtres Chanteurs) : il exprime le parfait portrait de ce marin veule, à la voix bien chantante mais à l’affectivité sans relief. Un Erik, Michael Weinius, dont le timbre un peu sec ne parvient à convaincre ni Senta ni nous-même de la force de son amour, un pilote au joli timbre mais à la projection faible, une Mary indigente, Agnes Zwierko, tout cela n’est guère rayonnant.
Mais il demeure le Hollandais du baryton polonais Tomasz Konieczny, admirable de bout en bout, la voix levée comme une voile gonflée, riche de couleurs et de nuances, projetée sans éclat superflu mais avec une puissance de conviction au niveau de ses moyens vocaux. Avec Ricarda Merbeth, il incarne au plus profond la musique de Wagner, que servent aussi au plus haut niveau les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra, dirigés avec un beau métier par le finlandais Hannu Lintu. Si son Ouverture demeure un peu trop prudente voire muselée, il déploie ensuite avec une belle palette cette musique qui, même si l’on sait que Wagner ira beaucoup plus loin ensuite, offre des moments splendides. Au final, une fort agréable soirée, saluée par l’enthousiasme largement exprimé du public : on en attendait de comme cela depuis des mois !
Alain Duault
Paris, 25 octobre 2021
Le Vaisseau Fantôme à l'Opéra Bastille, jusqu'au 6 novembre 2021
26 octobre 2021 | Imprimer
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