Opus infinitum à Ambronay : quand Leonardo García Alarcón fait se rencontrer Bach et Haendel

Xl_thumbnail__dsc0212_cappella_mediterranea_lga_opus_fest_amb_28092024___bertrand_pichene-ccr_ambronay_dxo © Bertrand Pichène

Samedi, après le concert secret de La Néréide, le festival d'Ambronay accueillait un habitué des lieux – grâce auquel nous avions justement découvert Julie Roset quelques années plus tôt cette même abbaye – à savoir Leonardo García Alarcón. Pour cette édition 2024, le maestro offrait au public Opus infinitum, un pastiche unissant Haendel et Bach pour un savoureux dialogue entre ces deux monuments de la musique baroque, contemporains l'un de l'autre, et dont la relation « est un sujet fascinant pour tous ceux qui aiment la musique » comme l’indique le programme. Quant au titre, il traduit l’infinité de compositions pouvant naître de la mise en regard des partitions de ces deux génies, réunis ce soir par un troisième à la tête de son ensemble Cappella Mediterranea et du Chœur de Chambre de Namur.

Difficile toutefois de ne pas mentionner, de même que l’a fait la directrice des lieux Isabelle Battioni en ouverture de soirée, la tragédie qui résonne encore et qui ne pouvait que se rappeler à nous samedi soir : la disparition sur scène, en plein concert, d’Alejandro Meerapfel lors de la dernière venue du chef et des ensembles. Ce concert était ainsi une « façon de célébrer la vie » et le chef argentin a plusieurs fois levé le yeux vers la voûte, semblant adresser une pensée particulière à cette âme qui marque aujourd’hui les lieux.

Ce n’est pas la musique mais les mots qui ouvrent la soirée. En grand pédagogue, Leonardo García Alarcón prend le temps d’expliquer ce que nous allons entendre, le projet qu’il a mené, l’histoire qui se cache derrière cet Opus infinitum : le fait que Bach et Haendel soient nés la même année mais n’aient jamais pu se rencontrer, son amour pour ces compositeurs... A huit ans, il écoute Bach et se passionne pour cette musique. Lorsqu’il en parle à son père, celui-ci répond : « on va voir s’il enseigne à Buenos Aires ». Une anecdote que le chef raconte avec le sourire, avant d’expliquer que Haendel, pour sa part, est le premier compositeur qu’il a dirigé tandis que sa sœur dansait. Pour lui, impossible de choisir entre les deux hommes... Comme il le dit : « Ou je me payais une thérapie, ou je faisais le concert de ce soir ! » Mais derrière ce ton léger, le chef argentin n’en oublie pas ce qui nous attend et a mis en place un moyen de distinguer les œuvres des compositeurs durant la soirée : deux hautbois et un basson sont disposés à cour et le même trio à jardin. Lorsque les trois premiers musiciens joueront, ils exprimeront Haendel, et lorsque ce sera les trois autres, alors place à Bach.

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Opus Infinitum, à Ambronay © Bertrand Pichène

Il faut néanmoins avouer que même avec cette aide visuelle, à moins d’être un fin connaisseur, les arrangements et les extraits choisis offrent un dialogue si cohérent que cela en devient presque un monologue, comme pour le premier assemblement sous le titre « Stile antico » qui regroupe « Egypt was glad when they departed » (Israël en Egypte de Haendel) et « Nimm von uns Herr, du treuer Gott » (extrait de la cantate éponyme de Bach). Malgré le changement de langue, il suffit de se laisser porter par la musique pour croire à un seul et même extrait. Une entrée en matière qui permet également de présenter les quatre solistes de la soirée : Ana Vieira Leite, Logan Lopez Gonzalez, Samuel Boden et Adrien Fournaison. Chacun d’eux chante ici avec la partie du chœur correspondant à sa tessiture, offrant une belle visibilité de la partition en plus d’une très belle harmonie de couleurs qui s’enrichissent mutuellement.

Le programme est bâti sur ce modèle de regroupement d’œuvres (entre deux et trois) sous un thème commun numéroté de 1 à 12. Un pastiche minutieux aux coutures si fines qu’elles en deviennent parfois invisibles, et le sont parfois moins, les deux hommes ayant tout de même leurs personnalités et leurs empreintes musicales. Les enchevêtrements se mêlent, se répondent, se font écho, se fondent l’un dans l’autre, se distinguent, se croisent et cheminent ensemble. Très rapidement, on cesse de vouloir chercher quelle partition est signée de qui et on se laisse (em)porter par ce beau discours où s’expriment les deux voix de Bach et de Haendel. L’argument musical répond naturellement à celui de l’autre jusqu’à finir dans l’apothéose de l’enchevêtrement du si célèbre « Hellelujah » de Haendel avec « Allein zu dir, Herr Jesu Christ » de Bach. Ici, les deux œuvres ne sont pas présentées l’une après l’autre mais l’une dans l’autre. La première étant particulièrement connue et reconnaissable, on apprécie d’autant plus ce mélange savoureux.

Une fois encore, l’ensemble Cappella Mediterranea brille par son homogénéité sous la direction de son chef. Le plaisir de l’écoute se renouvelle à chaque note, l’équilibre se fait avec une précision d’orfèvre afin de ciseler le bijou qui nous est offert. Leonardo García Alarcón dirige avec art, passion et attention. Restant à l’écoute de tous, il maîtrise avec assurance les directions qu’il souhaite donner. L’excellence se renouvelle dans le Chœur de Chambre de Namur, qui sait faire briller chaque timbre avec fougue et douceur selon le besoin, précision toujours, et une magnifique puissance dans le déploiement de ces voix unies dans le chant et l’interprétation. Les solistes sont également à saluer, car même si Ana Vieira Leite paraît parfois un peu fatiguée par l’enchaînement de ses deux concerts – notamment dans les notes les plus graves – la voix demeure belle et appréciable, avec des aigues solides et charnus. Logan Lopez Gonzalez renouvelle la belle impression faite à la Cité Bleue en mai : la voix demeure habitée et chatoyante, les graves fortement ancrés et puissants. Samuel Boden laisse entendre son timbre clair et lumineux, et Adrien Fournaison clôt brillamment ce quatuor avec sa voix de basse dont la noble profondeur éclaire le chant.

Avec cet Opus infinitum, Leonardo García Alarcón nous convie à être les témoins privilégiés d’un dialogue musical d’une merveilleuse richesse et d’une profonde humanité. Car le chef argentin se montre avant tout humain, tant dans son approche avec le public que dans son art de la musique. Sa chaleur communicative côtoie ainsi, entourée de ses ensembles d’excellence, une qualité et une intelligence qui le hissent aujourd’hui parmi les meilleurs, et qu’il partage avec générosité.

Elodie Martinez
(Ambronay, le 28 septembre 2024)

Opus infinitum, à Ambronay le 28 septembre puis à la Cité Bleue le 29 septembre.

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