Reprise de The Tempest de Thomas Adès à l’Opéra de Vienne : haute exigence vocale

Xl_the-tempest-wiener-staatsoper-2024 © Michael Pöhn

The Tempest de Thomas Adès se classe assurément parmi les opéras contemporains les plus aboutis de ces dernières années. Non seulement la création du deuxième opéra du compositeur britannique en 2004 à la Royal Opera House de Londres a rencontré un solide succès auprès du public, mais les représentations ultérieures dans diverses maisons d’opéra ont confirmé l’engouement du public. Et après y avoir déjà été donné en 2015, l’ouvrage est aujourd'hui repris à l’Opéra d'Etat de Vienne.

Dans le cas présent, le succès tient aussi à la mise en scène, riche et inventive, de Robert Lepage qui exploite toute la panoplie du théâtre. Sur scène, la Scala de Milan est reconstituée sur l’île de Prospero. Le décor, signé par Jasmine Catudal, reproduit le théâtre milanais sous des angles divers, comme pour mieux brouiller les perspectives : tous les personnages sont à la fois victimes de la rage destructrice de Prospero et spectateurs d'un monde théâtral fascinant, dans une sorte de mise en abime. Ce qui rend cette production si significative, c'est aussi sa somptuosité faite d’images enchanteresses, ses costumes imaginatifs (conçus par Kym Barrett) ou encore sa sensualité raffinée.

La partition de Thomas Adès confronte l’ensemble des interprètes à des difficultés musicales invraisemblables, tant en termes de rythmiques que de tessitures ou d’ambitus, mais toute la distribution les surmonte avec un aplomb admirable. À vrai dire, on peine à croire qu’il soit possible de chanter si divinement les aigus et les intervalles extrêmes qu’Adès a composé pour l’esprit aérien mélancolique Ariel. Non seulement la jeune norvégienne Caroline Wettergreen n’est pas sujette au vertige quand elle est suspendue à un lustre gigantesque qui surplombe la scène ou quand elle se tient en équilibre sur un pont, mais elle trille et pépie comme un oiseau, escaladant les coloratures stratosphériques de la partition avec une aisance phénoménale.

Adrian Eröd est un Prospero élégant à la voix chaleureuse, et doit également exploiter pleinement son registre de baryton. Frédéric Antoun incarne un Caliban harnaché comme un animal fantastique, intrigant et malveillant, et dont le ténor peut aussi atteindre des hauteurs insoupçonnées. Dans le rôle de la fille de Prospero, Miranda, Kate Lindsey fait merveille, chantant des arches merveilleusement douces et un phrasé subtil. Son amant Ferdinand est interprété par Hiroshi Amako avec un beau ténor lyrique. Dans le rôle de son père, Toby Spence déploie un chant funèbre plein d'émotion. Daniel Jenz est très impressionnant dans le rôle du frère maléfique de Prospero, Antonio. Wolfgang Bankl est un serviteur Gonzalo à la voix puissante et bienveillante, Michael Arivony fait un solide Sebastian, tout comme les compagnons de beuverie composés par Dan Paul Dumitrescu (Stefano) et James Laing (Trinculo), constamment ivres, qui complètent un ensemble globalement bien chantant.  Le chœur de l'Opéra d'État de Vienne (préparé par Thomas Lang), dans de nobles robes du soir, se fait entendre de manière très homogène.

L'habile artisan de la musique qu'est Thomas Adés se sert de toute la palette de l'histoire de l'opéra pour composer une orchestration brillante. On constate des emprunts à des univers d’inspiration baroque jusqu'à des dissonances éclatantes. Il mélange les couleurs et les styles jusqu'à une polystylistique chatoyante. Comme lors d'autres représentations, Adès est lui-même au pupitre de l'orchestre de l'Opéra national de Vienne, qui fait résonner la partition avec brio, sensibilité et une grande subtilité.

Au terme de la représentation, le public manifeste beaucoup d’enthousiasme !

traduction libre de la chronique en allemand du Dr. Helmut Christian Mayer
Vienne, 9 mai 2024

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