Insipide Fidelio sous la direction de Gustavo Dudamel à la Philharmonie de Paris

Xl_dscf8202 © Thibault Vicq

Une semaine après Beethoven Wars à La Seine Musicale, le compositeur de Bonn inspire une autre facette d’exécution, à la conquête d’un nouveau public. La Philharmonie de Paris constitue la troisième et avant-dernière étape d’une tournée (de Los Angeles à Londres), où la musique et le livret de Fidelio s’enrichissent d’une lecture par le chansigne. Cette technique, encore relativement rare à l’opéra – on garde en mémoire un Don Pasquale mis en scène à Montpellier en 2019 –, permet aux spectateurs sourds et malentendants de ressentir les sons par le mouvement, tout en suivant le déroulé de l’intrigue grâce au texte complet exprimé par des acteurs sourds, ici en langue des signes internationale.

Chaque rôle possède donc son binôme chant-jeu dans cette adaptation – toute la musique est là, cependant ! – par le Deaf West Theatre, qui produit, depuis sa création en 1991, des spectacles inclusifs de théâtre et de comédie musicale. Contrairement à la chorégraphe Anne Teresa De Keersameker, qui dans Così fan tutte – repris ce mois-ci à l’Opéra national de Paris – dédoublait aussi les interprètes (chanteurs et danseurs) dans un vertige  polysémique, la lecture d’Alberto Arvelo se cantonne à la littéralité (ou au déni, dès lors qu’il faut diriger les chœurs – le Coro de Manos Blancas, issu d’El Sistema, avec le Cor del Gran Teatre del Liceu et le Cor de Cambra del Palau de la Música Catalana –, pourtant surmotivés, à l’immensité de cathédrale). Les artistes font ce en quoi ils sont les meilleurs, sans interagir. Au premier acte, on suit avec beaucoup d’intérêt les inflexions physiques des acteurs (parfois même sans jeter un œil aux surtitres, tant leur présence charismatique dégage d’émotion complémentaire à la partition). Au second, les mimiques s’avèrent un peu trop réductrices pour le message puissant de liberté véhiculé par l’œuvre. Le placement spatial de la distribution, soit dans l’éloignement complet, soit dans la proximité directe, empêche également à l’affect d’affleurer.

Les chanteurs se limitent à chanter, ne se sentant plus vraiment la responsabilité d’incarner. Leurs qualités se dissolvent dans la routine, dans la lecture seule, à l’exception peut-être de Gabriella Reyes, superbe Marzelline racée, tout sauf naïve, pétrie de désir papillonnant, et relais assuré de l’intégralité du spectre de l’amour, face au Jaquino lumineux de David Portillo. La soprano Tamara Wilson, en Leonore, donne d’emblée le ton avec sa syllabisation de vérité, en un visage de renouveau, mais l’uniformité de la ligne refuse toute évolution réelle du personnage. Y compris à l’acte II, à la révélation de son genre, où l’affirmation prend d’abord aux tripes, avant de rapidement s’estomper. Difficile, dans ce cas, de comprendre la résilience de Leonore. Le Florestan plaintif d’Andrew Staples n’arrive pas non plus à se dépêtrer d’une platitude de musique, entre deux aigus sous haute tension. Si on ne s’étendra pas sur le Don Fernando élimé de Patrick Blackwell, on apprécie plutôt l’incisif Shenyang, qui prête à Don Pizarro la voix d’un méchant de James Bond, et plus encore James Rutherford, Rocco bien portant, skateur de la mélodie, passeur supérieur de tristesse et d’humanisme.

L’ouverture résume à elle seule la suite de la soirée, sur le plan orchestral : la moiteur de la grotte et la noirceur de la geôle, sans repères. Car on peut louer la minutie d’écoute du Los Angeles Philharmonic, l’interconnexion de ses pupitres de cordes, les attaques tout sauf dures soutenant une orientation, et évidemment un instinct musicien. Gustavo Dudamel a beau diriger Fidelio par cœur, il ne semble presque jamais transcender le métier des instrumentistes qui lui font confiance. Quelle est sa valeur ajoutée sur ce concert ? On pose légitimement la question, au vu de son ennui palpable, de sa neutralité permanente, de son manque de capacité à gérer les résonances dans la Grande salle Pierre Boulez. Il reste garant d’une architecture dont il ne révèle rien. Les solos de bois (excellents) et de cors (un peu à la peine, et trop forts en volume) dominent un accompagnement du reste de l’orchestre : on a connu clairement plus audacieux de la part du chef vénézuélien. Allez, on peut sauver les matières des récitatifs et ses (trop rares) envies de rupture, seuls instants qui réveillent de la léthargie… avec aussi ce finale assourdissant, d’une confondante absurdité. Plus rien ne sonne dans ce capharnaüm, qui cherche peut-être à faire oublier l’ennui d’une soirée peu inoubliable.

Thibault Vicq
(Paris, 31 mai 2024)

Fidelio, de Ludwig van Beethoven, au Barbican Centre (Londres) le 3 juin 2024

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