Zémire et Azor à l’Opéra-Comique : le sacre de Julie Roset

Xl_8_z_mire_et_azor_dr_stefan_brion © Stefan Brion

Après quelques reports COVID et avant la saison 23-24, l’ère Louis Langrée a enfin commencé à l’Opéra-Comique. Si Olivier Mantei avait permis à la Salle Favart de sortir de sa zone de confort avec quelques metteurs en scène peu (ou pas) représentés ailleurs à l’opéra, le nouveau directeur lance un signal de régression scénique en confiant Zémire et Azor de Grétry à Michel Fau. Ce dernier, (trop) présent dans le monde théâtral (puis lyrique) depuis plus de trente ans, apparaît non seulement comme une solution de facilité, mais aussi, au vu de la consternante réalisation – celle du Postillon de Lonjumeau n’était déjà pas une grande réussite –, comme un pied-de-nez au public. Le genre de l’opéra-comique, si cher aux discours de Louis Langrée depuis sa prise de fonction, se doit d’alterner le chanté et le parlé, dans une fluidité musicale et théâtrale. Michel Fau est incapable d’orienter les chanteurs-acteurs sur les élégants vers de Marmontel (ou n’a clairement pas suffisamment travaillé pour), massacrés à la manière du pire du théâtre amateur, dans une emphase risible et périmée qui tient de la purge de spectateur. Après des situations similaires dans La Petite Boutique des horreurs et Carmen, cela commence à faire beaucoup en six mois place Boieldeu. Si Favart ne défend pas la langue déclamée, quelle institution le fera ? Au cours de la première partie, Michel Fau ne dirige pas vraiment non plus les airs dans les satisfaisants décors d’Hubert Barrère – également aux opulents costumes, comprenant une robe brodée par la maison Lesage – et Citronelle Dufay (hormis un horrible nuage effet papier toilette) ; il est aux abonnés absents dans la seconde. Zémire et Azor ne fera par ailleurs pas exception quant à ses récurrents (et désolants) ego trips : dans la peau d’une fée, il essaie de ramener la couverture à lui et à ses piètres pas, aux côtés de deux excellents danseurs (Alexandre Lacoste et Antoine Lafon). C’est exactement ce qu’on n’a plus envie de voir à l’opéra.


Zémire et Azor, Opéra-Comique (c) Stefan Brion

Cette comédie-ballet de Grétry (1771) dédiée à la dauphine Marie-Antoinette, dispose pourtant de tous les ingrédients du spectacle captivant. La variation autour de la Belle (Zémire) et de la Bête (Azor) inspire un livret charmeur dans l’esprit des Lumières, fait d’éléments merveilleux et d’équilibres entre personnages comiques (l’esclave Ali) et tourmentés (Sander, le père de Zémire), et qui sera couronné de succès en France et en Europe à la fin du XVIIIe siècle. Grétry a la particularité d’être un passeur entre Rameau et Berlioz. L’impact par la simplicité d’orchestration et la limpidité du langage musical concourent à une émotion « pure » et directe, propre à exposer les vertus de personnages pas si éloignés de leur public.

Staccato en boules de feu, trilles et mordants en montre suisse, le chef Louis Langrée reste constamment au cœur de l’action avec Les Ambassadeurs - La Grande Ecurie, qu’il a l’intelligence de coordonner davantage dans le mouvement tectonique que dans la superposition seule des lignes. Il laisse les instrumentistes donner la quantité de musique qu’ils souhaitent sur leurs phrases pour affiner instantanément lui-même l’interprétation générale. C’est par une pièce montée d’articulations et la coexistence de discours antithétiques qu’il apporte une saveur toute particulière à la partition, entre l’éloquence des notes longues, sans début ni fin perceptible, l’état de stimulante tension entre piqués et liés, et l’ouverture de trappes insoupçonnées pour passer d’un caractère à l’autre. Louis Langrée ne cherche pas à passer outre la structure claire de l’écriture ; il garde un cadre, dans lequel se peignent de nouveaux modèles nuancés et colorés, et un cap, qui assure la complétude des élans. Malgré quelques départs pouvant gagner en propreté, l’orchestre répond vivement aux intentions du chef, jusque dans des superbes textures en champs de blé mus par le vent.


Zémire et Azor, Opéra-Comique (c) Stefan Brion

La distribution réunie est éblouie par la magnétique Zémire de Julie Roset (qu’on a récemment interviewée avec son ensemble La Néréide), étoile dans la nuit qui répand le printemps à la moindre inflexion. Matière de nuage et résonance dans l’enchaînement se donnent le relais pour former à la fois le pétale de la rose et la tige satinée. Elle insuffle une ampleur considérable aux étages et aux surfaces, comme dans une logique de calques qui se touchent et se mélangent. La diction parfois perfectible n’est qu’une composante satellite, en comparaison au contrôle permanent, à l’acuité des notes intermédiaires non vibrées dans une sorte de griserie de la balançoire, et du sens de la narration par le chant.

Philippe Talbot (Azor), souffre de la comparaison à sa partenaire. Il paraît absent, falot, défaillant et geignard dans la ligne vocale (notamment à cause de simagrées grimaçantes qui le contraignent), tout en remontant parfois la pente, mais dans des moments trop rares pour qu’on puisse les marquer au fer rouge. On préférera l’intelligible ténor Sahy Ratia, pile électrique longue durée, munie d’un moelleux attendrissant dans toutes ses vocalises. Marc Mauillon interprète un Sander revigorant, pétri d’amour pour ses filles, peut-être par instants trop présent en décibels, quoique exact dans la fusion de ses silences et de ses bribes expressives. Séraphine Cotrez convainc moins dans le temps excessif qu’elle prend et dans l’imprécision de ses saillies, tandis que les rares interventions de Margot Genet donnent une lumière supplémentaire à ce spectacle imparfait (coproduit avec l’Atelier Lyrique de Tourcoing et Les Ambassadeurs - La Grande Ecurie).

Thibault Vicq
(Paris, 23 juin 2023)

Zémire et Azor, d’André-Ernest-Modeste Grétry, à l’Opéra-Comique (Paris 2e) jusqu’au 1er juillet 2023

N.B. : Théotime Langlois de Swarte dirigera l’orchestre le 1er juillet

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