Le baryton gallois Bryn Terfel vient tout juste de conclure ses débuts dans le rôle-titre de Boris Godunov, le seul opéra achevé du compositeur russe Modest Mussorgsky, y voyant « l’une des œuvres les plus emblématiques qui ait été composée, un vrai chef-d’œuvre ».
La production, signée du metteur en scène anglais Richard Jones, est inédite et la partition est celle de l’œuvre originale de 1869, ayant fait l’objet de modifications drastiques du compositeur à la demande du Théâtre Impérial. « Nous retournons à l’essence même de l’œuvre, à sa genèse – aux sept scènes qui composaient initialement l’opéra. C’est donc une soirée particulièrement intense de deux heures et dix minutes. Ce sont les qualités qui m’importent le plus : l’intensité qu’on peut produire sur scène, le pouvoir de créer et de façonner un personnage ». Et selon Bryn Terfel, « Boris est sans doute l’un des personnages les plus difficiles à retranscrire sur scène ».
Pour Kasper Holten, directeur de la Royal Opera House, attirer les plus grands artistes sur la scène de la maison londonienne pour interpréter les rôles les plus ardus est une fierté, rendue possible notamment grâce au directeur musical de la maison, Antonio Pappano, considéré comme l’une motivation principale des chanteurs à faire leurs débuts à Londres.
Kasper Holten poursuit. « Nous espérons envoyer le message que les conditions de travail sont excellentes ici, et que les artistes peuvent à la fois explorer et approfondir ces rôles. Et bien sûr, pour la plupart d’entre eux, la collaboration avec Antonio Pappano dans la fosse est essentielle. Notre merveilleux directeur musical attire de nombreux chanteurs, comme Bryn, quand ils abordent de nouveaux rôles d’envergure, comme celui de Boris, et c’est un aspect que nous souhaitons valoriser ici à la Royal Opera House – notre aptitude à attirer les plus grands artistes pour leurs prises de rôle ».
Bryn Terfel acquiesce : « Musicalement, nous sommes guidés par Antonio Pappano, qui est là depuis maintenant 14 ans. J’ai pu faire l’expérience de l’incroyable intensité de sa musicalité dans plusieurs de mes prises de rôles, que ce soit Gianni Schicchi, Wotan ou encore Scarpia dans Tosca ».
Holten est fier d’ajouter plusieurs stars à sa « liste de débuts » : « nous avons eu Juan Diego Florez pour son premier Orphée sur scène cette saison, en septembre dernier, ainsi que Joyce DiDonato pour sa premier Charlotte dans Werther de Massenet du 19 juin au 13 juillet prochains. Nous avons aussi eu Jonas Kaufmann pour ses débuts en Chevalier des Grieux dans Manon Lescaut en juin 2014 et dans le rôle-titre d’André Chénier en janvier 2015, et il fera également ses débuts en Otello la saison prochaine aux côtés d’Antonio Pappano. »
La première performance de Bryn Terfel à la Royal Opera House remonte à 1992 dans le rôle de Masetto, dans Don Giovanni de Mozart. Il souligne l’importance de sa relation à la fois avec la maison londonienne et AntonioPappano : « sans le moindre doute, il sait comprendre votre voix, il en connait les fragilités et les forces. Il sait aussi comment diriger un orchestre en fonction de votre interprétation ».
Pappano ajoute : « quand vous assistez aux débuts d’un chanteur, vous devez savoir de qui vous êtes entouré pour réunir toutes les pièces de l’ensemble du puzzle, tant il y a de questions et d’inconnues, tant pour le chanteur que pour le chef d’orchestre. Et si vous êtes bien entouré, vous pouvez répondre à ces interrogations ensemble. C’est incroyable de penser que c’est un nouveau rôle pour Bryn, tant il y insuffle de couleurs, et avec une telle liberté ».
Pour Bryn Terfel, la langue du rôle est également un défi d’envergure : « la difficulté d’apprendre le russe est une première chose, et réussir à en faire le meilleur usage pour le personnage en est une autre. Le problème n’est pas tant la mémorisation, mais le fait de sculpter cette langue différente pour la faire vôtre. Une fois que la coquille est percée, vous pouvez alors vous projeter à cœur ouvert dans ce magnifique opéra. Mussorgsky était particulièrement attaché à sa langue, et certaines scènes relèvent davantage du récitatif que du chant ».
C’est la première fois que le chanteur interprète un opéra entier en russe : « Pendant des semaines, j’ai arpenté les rues en récitant des mots russes et en observant des Russes ». Bryn Terfel a eu des coaches lyriques « à Monte Carlo, Paris, Beaver Creek dans le Colorado, New York, et maintenant ici à Londres », et « nous avons aussi quelques artistes russes au sein de la distribution, ainsi qu’un autre de Lituanie, qui sont d’un très grand soutien. Ils nous apportent des tonnes d’informations et d’éclaircissements sur l’œuvre et sa langue. »
Il poursuit. « J’ai apprécié le fait de disséquer une nouvelle langue. C’est assez proche du gallois dans les sonorités avec ses " L " doux ou accentués. »
Il souligne par ailleurs que la portée vocale de cette version est un peu différente de celle des révisions postérieures. « Les autres interprètes qui l’ont chanté – il cite la basse bulgare Boris Christoff (1914-1993) et Nicolai Ghiaurov (1929-2004) – avaient indéniablement des voix de basse, des voix russes sombres, et je pense que cette version est davantage axée sur une voix de baryton-basse. Il y a des notes graves mais aussi des notes plus aigües. »
« Bryn fait partie de la famille ici, et il est très important de continuer la relation qu’il entretient avec moi et avec la maison », dit Antonio Pappano.
Bryn Terfel complète : « Dans une maison d’opéra, il est d’une extrême importance de s’attacher à l’expérience familiale. La vie et l’âme d’une maison d’opéra sont son orchestre et son chœur. Ils viennent ici chaque jour, tout au long de l’année. Il y a une communauté ici, et vous pouvez avoir des discussions avec les choristes et les musiciens toute la journée. Cela donne un certain poids à la maison d’opéra. Vous êtes fier d’entrer dans une pièce où les gens investissent une telle fierté dans leur travail et leur développement ».
Article issu de l'International New York Times, n’engageant pas la rédaction du journal, et dont nous reproduisons le contenu avec leur aimable autorisation.
Center stage est produit par le département international T Brand Studio et n'engage pas les départements éditoriaux de l'International New York Times.
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