Aujourd'hui, pour une maison d’opéra majeure, regarder vers l’avenir peut parfois s'avérer intimidant. Pour autant, les dirigeants de la Royal Opera House de Londres semblent tout aussi imperturbables qu’enthousiastes face à ce que le futur leur réserve. Aux côtés d’Antonio Pappano qui chapote la direction musicale de la maison depuis 2002, Kasper Holten, le directeur de l’opéra, et Alex Beard, son bras droit, revendiquent l'un et l'autre une vision claire de la façon dont ils doivent à la fois préserver la tradition de la maison tout en la modernisant pour l’adapter à l'époque.
Tant pour Alex Beard que pour Kasper Holten, la ROH fait écho à des souvenirs de jeunesse. Pour Beard, qui a fait ses armes comme directeur adjoint de la Tate Gallery à Londres avant de rejoindre Covent Garden en 2013, la maison londonienne fut une découverte à l'âge de 11 ans : sa mère l'y avait emmené, échangeant son seul billet contre deux entrées débout, pour voir la production de La Walkyrie de Götz Friedrich. Il s'en souvient encore : « Je ne vais pas prétendre qu'à cet âge, j’avais une critique raffinée à livrer à la fin du spectacle, mais j'y voyais déjà une immense institution, avec toutes les forces au travail pour donner vie au drame et à la musique ».
De son côté, Holten se remémore, adolescent, avoir regardé de façon quasi obsessionnelle un enregistrement VHS de Placido Domingo et de Katia Ricciarelli dans La Bohème. C’est seulement après avoir été nommé à son poste à la ROH qu’il a pu voir la reprise de la production de 1974 de John Copley (dans une mise en scène donnée encore ces deux derniers mois, et qui sera remplacée dès 2017 par une nouvelle production signée Richard Jones), et il y a retrouvé ce qu’il appelle « La Bohème de mon enfance ». Et d’aussi jeunes souvenirs sont manifestement importants puisque pour Beard et Holten, la compréhension du grand passé de la ROH constitue une part essentielle de la construction future de l’institution.
D’un point de vue artistique, la ROH affiche de nombreux projets. Pour Holten, pour continuer à être « l’opéra le plus influent et le plus enthousiasmant au monde », sa vision de l'avenir passe par ce qu’il appelle « l’étendue de la gamme, la profonde qualité, et la variété du répertoire ». Il souligne que Covent Garden est le seul parmi les plus éminents opéras au monde à posséder son propre studio expérimental, ajouté à des retransmissions numériques au cinéma, la diffusion de vidéos en streaming des coulisses, ou à proposer des programmes éducatifs de sensibilisation combinés à une scène qui attire les plus grands artistes au monde.
Et d'illustrer son propos : dans un futur proche, Juan Diego Flórez (Orphée), Joyce DiDonato (Charlotte dans Werther), Bryn Terfel (Boris Godounov) ou encore Jonas Kaufmann (Otello) chanteront à la ROH pour leur grands débuts dans de nouveaux rôles. De même côté répertoire. Huit nouveaux opéras scéniques ont été commandés pour les cinq prochaines années, une initiative sans précédent pour une grande maison d’opéra. On y retrouve de nouvelles œuvres de Georg Friedrich Haas, Unsuk Chin (Alice Through the Looking Glass, une suite à son opéra précédent, Alice in Wonderland), Thomas Adès (The Exterminating Angel, basé sur le film de Buñuel) et George Benjamin (dont le récent Written on skin connait un succès sensationnel à travers le monde).
Toutes ces commandes représentent un investissement créatif et financier gigantesque. Mais le directeur considère qu’il faut savoir prendre des risques afin de conserver une tension positive entre les nouveautés et le répertoire standard. Holten souligne qu’il y a quatre opéras commissionnés pour l’année 2020, dont chacun se veut un reflet de l’état actuel du monde et de la société -- on le comprend, la maison tranche ici avec les mythes antiques et les histoires qui appartiennent au passé.
Dans un futur plus proche, la ROH participera en septembre et octobre prochains au London #Hofest, célébrant ainsi le travail de la danseuse et chorégraphe israélienne Hofesh Shechter et de sa compagnie, autour d’une production d’Orphée et Eurydice de Gluck, co-dirigée par cette dernière et John Fulljames, directeur adjoint de la Royal Opera House. Sir John Eliot Gardiner y dirigera notamment Juan Diego Florez. Après le succès de septembre 2014, lorsque la totalité de l’auditorium a été ouvert aux étudiants de 16 à 25 ans pour une représentation de l’opéra de Mark-Anthony Turnage « Anna Nicole », la fosse sera rehaussée et ouverte à l’occasion d’Orphée et Eurydice, pour accueillir des places étudiantes debout, vendues au prix de 10 livres.
Enfin, Holten lui-même, qui a récemment mis en scène Le Roi Roger de Szymanowski qui affichait complet en mai et juin derniers, dirigera Les Maitres chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner en 2017.
Pour la première fois depuis les grands travaux de construction des années 1990, lorsque l’auditorium principal a été rénové et le Floral Hall créé, le projet d’une nouvelle série de travaux importants (appelés Open Up) débutera à la fin de l’année. En plus de la rénovation complète du Linbury Studio Theater, la façade de l’opéra sera ouverte jusqu’à une esplanade interne, et les autres bâtiments seront de fait bien plus visibles depuis le coeur de Covent Garden, permettant ainsi une communication efficace avec les millions de visiteurs qui viennent chaque année. Un avenir enthousiasmant pour la Royal Opera House, donc.
Article issu de l'International New York Times, n’engageant pas la rédaction du journal, et dont nous reproduisons le contenu avec leur aimable autorisation.
Center stage est produit par le département international T Brand Studio et n'engage pas les départements éditoriaux de l'International New York Times.
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