L’identité d’Otello en question à la Royal Opera House

Xl_keith_warner © Semperoper Dresden

Le 21 juin s’ouvrira à la Royal Opera House une nouvelle production d’Otello mise en scène par Keith Warner. Le chef Antonio Pappano dirigera Jonas Kaufmann et Gregory Kunde, se succédant dans le rôle-titre. À l’approche de la première, l’établissement londonien livre quelques détails sur la vision de l’œuvre par le metteur en scène, qui entend notamment l’articuler autour des grandes problématiques que soulève la notion d’identité du personnage central.

Keith Warner est un habitué du théâtre et de l’opéra, et se montre intransigeant sur l’apparence physique d'Otello, Maure guerrier qui va choir par jalousie. Il refuse que les deux chanteurs soient maquillés pour noircir leur peau. « J’ai travaillé avec des interprètes de toutes couleurs de peau au cours de ma carrière. Jamais je ne demanderais à un chanteur noir de se maquiller pour devenir blanc, donc pourquoi demander à un chanteur blanc de se foncer le visage ? Ce n’est vraiment pas le théâtre auquel je croie, et c’est inutile : le public doit faire fonctionner son imagination. Et c’est une insulte à la communauté noire de Londres et d’ailleurs. Pourquoi le faire ? » 

C’est la première fois qu’il s’attèle à la dernière tragédie achevée de Verdi, dont les origines shakespeariennes lui permettent d’approfondir les rouages psychologiques des personnages. Sur la thématique de l’identité, qui reste majeure dans l’opéra, Warner affirme : « À l’époque de Shakespeare, le terme "Maure" est un peu fourre-tout. Pendant mon enfance, j’ai grandi dans une cité au Nord de Londres, et tous les nouveaux arrivants (Pakistanais, Indiens, Africains) étaient définis comme "noirs", de façon indifférenciée. Les Maures étaient dans la même situation ». Pour aller plus loin, il s’appuie sur une série d’essais édités par Catherine Alexander et Stanley Wells, Shakespeare and Race, voulant que cette perte de repères s’étende même jusqu’aux Vénitiens car le protagoniste pourrait être l’un des devsirme de l’Empire ottoman. Ces jeunes chrétiens étaient sélectionnés et enlevés par les musulmans comme impôt, puis envoyés à Constantinople pour recevoir un enseignement exigeant dans tous les domaines. Une fois adultes, ils étaient parfois placés dans les structures politiques de leur ville d’origine. « Il arrivait que certains d’entre eux deviennent des traîtres et reviennent à leurs racines plus tôt que prévu. Imaginons qu’Otello ait fait partie de ce programme, se soit échappé, et ait réussi à travailler pour l’État de Venise : l’œuvre devient une évocation de son for intérieur tourmenté. Il reçoit continuellement des attaques sur ses origines, donc sa couleur de peau est une question mineure ».

Sur le plan visuel, la production doit se démarquer de celle, plus classique, d’Elijah Moshinsky, qui se jouait depuis 1987 à la Royal Opera House. Warner précise sa vision du rôle : « Je veux donner le sentiment que tout s’oppose à Otello. C’est un grand héros, et son monde s’effondre morceau par morceau, jusqu’à se réduire à peau de chagrin... Partir d’une vision globale pour atteindre le plus intime ». Et la scénographie doit suivre cette évolution : « Le décor jouera symboliquement avec le noir et blanc, en déplaçant le sujet de la lumière et de l’amour jusqu’à la sombre cellule carcérale de son âme. J’aimerais que le public ne ressente plus distinctement l’espace à ce moment précis. Je pense que Jonas [Kaufmann] sera parfaitement en mesure de jouer cette rupture, au-delà de ce qui a pu être fait jusqu’à présent ». S’il s’agit d’une prise de rôle pour le ténor, celui-ci n’est pas étranger à l’opéra de Verdi, ayant interprété le personnage de Cassio dès 2001. Cette expérience lui sera précieuse pour aborder sa nouvelle figure, à la trajectoire opposée. Otello est jaloux de Cassio, qu’il soupçonne d’avoir une liaison avec son épouse Desdémone, tandis que Cassio ignore tout de ces allégations, créées de toutes pièce par le maléfique Iago. Un passé d’homme naïf utilisé par un autre laissera le pas à l’homme tourmenté et trompé. Gregory Kunde avait suivi le même parcours, mais brille en Otello déjà depuis quelques années. Les répétitions seront matière à réinventer, remettre en cause, basculer les bases préalablement imaginées.

Dans la production, l’instabilité est égalemnt soulignée par les costumes, transposition des tenues élisabéthaines à une époque plus contemporaine, pour susciter un effet « d’époque » sans museler la modernité. « J’espère en tout cas qu’il y aura une sorte d’universalité », ajoute le metteur en scène.

La complicité de ce dernier et du chef Antonio Pappano, qui se connaissent depuis 1989 et collaborent très régulièrement, insufflera assurément une cohésion complémentaire à la musique de maturité du compositeur.

Rendez-vous dès demain mardi 28 mars à partir de 9h (heure de Londres), pour l’ouverture de la billetterie.

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