Portrait : Aigul Akhmetshina, Carmen à cent à l'heure

Xl_aigul-akhmetshina © Lera Nurgalieva

En 2018, la mezzo Aigul Akhmetshina avait 22 ans et on remarquait déjà sa voix et son tempérament. Quelques années plus tard, on la présente comme la « nouvelle Anna Netrebko » et elle se produit sur les plus grandes scènes internationales – notamment dans Carmen, l’un de ses rôles signatures, qu’elle reprend à la Royal Opera House de Londres dans une nouvelle production de Damiano Michieletto. 

En 2018 dans le cadre du bucolique festival d’opéra de Baugé en Anjou, la jeune mezzo Aigul Akhmetshina faisait déjà sensation : alors âgée de seulement 22 ans, on remarquait un « timbre profond, ambré, riche en harmoniques », dévoilant déjà un tempérament sur scène qui faisait dire alors « qu’assurément, elle compterait dans le paysage lyrique international de ces prochaines années ». Aujourd’hui, Aigul Akhmetshina a 27 ans, elle chante sur toutes les plus grandes scènes mondiales et le petit milieu opératique la présente comme la « nouvelle Anna Netrebko ».

Il faut dire que tout va manifestement toujours très vite avec Aigul Akhmetshina. Originaire de l’Oural dans une famille modeste (où tout le monde chante mais plutôt des chants populaires), elle décide qu’elle deviendra chanteuse... dès six ans, après une première prestation publique dans une fête d’école. Elle intègre un cours de chant, le quitte à 14 ans pour rejoindre un cursus classique de l’Ufa Arts College (parallèlement à un job de serveuse), gagne déjà des prix locaux, puis tente d’intégrer l’Université de Moscou pour étudier la musique – elle n’y est pas acceptée. Et alors qu’elle rentre chez elle, un accident de voiture « a failli détruire (s)a voix ». Sa mère qui élève seule ses trois enfants l’incite à opter pour « des études plus stables que la musique », et Aigul Akhmetshina est sur le point de renoncer au chant. Elle envisage « peut-être le journalisme ou la psychologie ». Ses professeurs de musique l’en dissuadent : elle doit patienter un an avant de pouvoir postuler de nouveau à l’Université, ce sera l’occasion de « reconstruire sa voix » qui « sonnait comme un animal mourant » – c'est ce qu'elle confie elle-même dans une interview à Variety. Parallèlement à cette reconstruction vocale, elle est invitée à participer à un concours de chant à Moscou, elle y rencontre le directeur de casting du programme des jeunes artistes Jette Parker de la Royal Opera House qui lui ouvre les portes de Londres. Elle a 21 ans et c’est le début de sa carrière lyrique.

La Royal Opera House lui permettra d’interpréter ses premiers vrais rôles : Preziosilla dans La Force du destin, Sonyetka dans Lady Macbeth de Mzensk, Flora dans Traviata, ou ensuite Maddalena dans Rigoletto (repris en 2022 à l’Opéra de Paris), mais aussi Mercedes et surtout le rôle-titre de Carmen, qui devient l’un de ses rôles signatures. 

« 50 nuances de Carmen »

Cette saison, Aigul Akhmetshina a interprété Carmen sur nombre de grandes scènes internationales, au Bayerische Staatsoper de Munich en début de saison, puis à la Deutsche Oper Berlin, mais aussi dans la nouvelle production de Carrie Cracknell au Metropolitan Opera de New York en fin d’année dernière et maintenant de nouveau à la Royal Opera House de Londres à partir de 5 avril dans une mise en scène inédite de Damiano Michieletto et elle reprendra encore le rôle cet été au Festival de Glyndebourne, et ensuite à Naples.

C’est « 50 nuances de Carmen » selon Aigul Akhmetshina, qui était une Carmen féministe à New York dans la mise en scène de Carrie Cracknell (la production transposait le livret aux Etats-Unis dans une usine d’armes à feu) et sera un symbole de liberté à Londres à partir de ce 5 avril, face au Don José de Piotr Beczala. Avec sa production pour Covent Garden, Damiano Michieletto estime que « Carmen traite avant tout de liberté : d’une part, la protagoniste féminine incarne une idée de liberté absolue, ce qui implique bien souvent une vie en marge, semblable à un animal errant ; d’autre part, la mère de Don José tente de garder le contrôle sur son fils, le forçant à obéir quitte à faire dérailler sa volonté ». Le metteur en scène précise : la mère de Don José « n’est pas directement présente dans le livret, mais sa force se manifeste au travers du personnage de Micaëla. La tragédie finale, qui conduit au féminicide de Carmen, prend ainsi des allures de combat métaphorique entre deux modèles existentiels opposés ». Au regard de son tempérament, on imagine qu’Aigul Akhmetshina n’aura pas grande difficulté à incarner cette image de la liberté.

Car à certains égards, la jeune mezzo semble se reconnaitre dans le personnage de Bizet : « elle est très honnête, chaque fois qu’elle dit "je t’aime" à quelqu’un, elle le pense ; à chaque fois, elle est sincèrement convaincue d’aimer ; elle est animée par ce besoin irrépressible de vivre et de ressentir quelque-chose ». Si Aigul Akhmetshina se dit « plus prudente » que Carmen, elle dit aussi « pouvoir tout faire sur scène » et être « accro à l’adrénaline, comme tous les artistes ». À 27 ans, la mezzo est « pressée de vivre », revendique depuis l’enfance le sentiment de n’avoir pas de temps à perdre. Elle a déjà fait beaucoup et est encore très jeune. Elle a le temps ? Elle pense que non, « la vie va très vite ! ».

La nouvelle production de Carmen à la Royal Opera House de Londres est donnée du 5 avril au 31 mai. La production doit faire l’objet d’une captation vidéo en vue d’une diffusion mondiale au cinéma dans les salles partenaires le 1er mai prochain.

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