Portrait : Sabine Devieilhe, la nouvelle Dessay

Xl_sabine-devieilhe2 © Jensupaph

Sabine Devieilhe est le nouveau météore du ciel lyrique français. Elle a 28 ans à peine, elle est haute comme trois pommes et pèse à peu près trois plumes mais elle possède un gosier phénoménal avec lequel elle vient de triompher à Paris, à l’Opéra-Comique, dans le rôle-titre de Lakmé de Léo Delibes, ce même rôle dans lequel, il y a un peu plus de vingt ans, s’imposait une certaine Natalie Dessay – dont Sabine Devieilhe semble à de nombreux égards l’héritière.

Née en Normandie, à Ifs, une petite commune de 12 000 habitants dans la banlieue de Caen, elle est la troisième de quatre sœurs au sein d’une famille où la musique est essentielle : le grand-père était musicien, les parents sont de fervents mélomanes, l’ainée des quatre sœurs, Florence, est professeur de violon et se produit régulièrement avec l’ensemble Opus 14. Dès 6 ans, en même temps qu’elle entre au cours préparatoire, Sabine est inscrite à l’école de musique d’Ifs puis, alors qu’elle intègre le prestigieux lycée Malherbe de Caen (dans une classe à option musique), elle étudie en parallèle le violoncelle au Conservatoire de Caen.
Son bac en poche, elle part travailler la musicologie au Conservatoire de Rennes, où elle a la chance de rencontrer l’excellente Martine Surais qui l’incite à participer aux chœurs de l’Opéra de Rennes, pour s’aguerrir. Ensuite, c’est le Conservatoire National supérieur de musique de Paris, classe de Pierre Mervan : c’est là qu’elle épanouit ses dons suffisamment pour sortir au bout de trois ans avec un premier prix de chant agrémenté des félicitations du jury à l’unanimité.
On est en 2011 : c’est à ce moment que j’entends pour la première fois le nom de Sabine Devieilhe. Elle vient de faire sensation au Festival de La Chaise-Dieu, elle est annoncée dans plusieurs autres festivals, mon ami le chef Marc Minkowski m’en parle avec émotion, elle est engagée à Aix-en-Provence au sein de l’Académie du Festival : c’est à cette occasion que j’entends pour la première fois la voix de Sabine Devieilhe, dans un opéra de jeunesse de Mozart, La Finta giardiniera : elle y chante le joli rôle de Serpetta, affirmant d’emblée un timbre très pur de soprano lyrique léger, avec des couleurs recherchées et une intelligence du chant qui montre une parfaite maitrise à laquelle on n’est pas accoutumé chez une aussi jeune femme. La suite va prouver que l’impression première était bonne : son disque Rameau chez Erato, Le grand théâtre de l’amour, contribue à installer sa réputation, tout comme sa reconnaissance aux Victoires de la musique.

Mais c’est bien sûr son interprétation du rôle de Lakmé, à Montpellier d’abord puis à l’Opéra-Comique en ce début janvier, qui en fait une grande. Car, à côté du don évident, cette voix aux couleurs parfaitement projetées, sans aucun effort apparent, ce souffle bien réparti, cette aisance dans tous les registres de sa tessiture, cette plénitude donc de l’instrument, il y a chez Sabine Devieilhe ce quelque chose en plus qui la distingue, l’intelligence – intelligence dans la conduite vocale, intelligence dans la compréhension du personnage. Elle est habitée par son rôle et sait en développer toutes les facettes psychologiques, elle sait d’une inflexion, d’un geste, d’une couleur à peine plus appuyée, esquisser des ombres et des lumières, ôter la carapace strictement virtuose pour interpréter. C’est évidemment dans le fameux « air des clochettes » que cette intelligence s’affirme le plus évidemment : tout en n’évitant aucune des figures de virtuosité, Sabine Devieilhe raconte quelque chose avec cet air, elle y inscrit un récit qui le conduit, qui développe une agogique subtile, qui le fait vivre sans renoncer à son éclat : c’est du grand art ! Mady Mesplé ou Natalie Dessay, avant elle, ont su trouver la même conduite interprétative : elle est bien leur héritière. Elle reconnait d’ailleurs volontiers sa dette envers sa plus proche ainée, Natalie, au moment où celle-ci s’éloigne de l’opéra. On est donc à présent impatient d’assister aux débuts de Sabine Devieilhe à l’Opéra Bastille dans un rôle que sa devancière a aussi marqué, celui de la Reine de la Nuit de La Flûte enchantée. Ce sera en mars prochain : on y sera.

Alain Duault

Crédit photo : Jensupaph

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