La semaine dernière avait lieu la 29e édition des Victoires de la Musique Classique, qui a couronné plusieurs talents, dont la mezzo-soprano française Eugénie Joneau récompensée du prix de « Révélation Artiste Lyrique ». En attendant d’avoir le plaisir de l’entendre à nouveau sur scène, Opera Online est partie à la rencontre de cette jeune artiste talentueuse et sympathique, qui a accepté d’échanger avec nous sur cette expérience, son parcours, ses inspirations ou encore ses projets.
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Opera Online : Comment avez-vous trouvé votre voie/voix ?
Eugénie Joneau : Ma voix, je l’ai trouvée il y a longtemps, quand j’avais huit ans. Je l’ai découverte en chantant du lyrique, avec l’air de la Reine de la Nuit. J’ai un petit peu mué depuis… (rire) J’ai continué de chanter, j’ai pris des cours de chant dans la variété avant d’arrêter le temps de mes études. Puis vers 18 ou 19 ans, j’ai trouvé cette fois-ci ma voie en allant voir un opéra à l’Opéra d’Avignon. Ca a été une révélation, un vrai déclic. Une fois que j’ai su que c’était ce que je voulais faire, il me fallait encore trouver les professeurs de chant qui me dirigeraient vers la bonne technique. J’ai alors vu une première fois Françoise Pollet, qui est d’ailleurs sur Lyon. A l’époque, j’habitais encore dans le sud, et j’ai donc fait l’aller-retour. C’est elle qui m’a conseillée de m’inscrire au Conservatoire de Lyon, où elle avait un ancien élève à elle qui enseignait, à savoir Pierre Ribémont. Je me suis préparée durant environ six ou sept mois, j’ai passé le concours d’entrée et j’ai été prise au CRR. J’ai fait mes études en quatre ans, j’ai obtenu mon DEM, et je suis directement entrée à l’Opéra Studio, à Strasbourg ! J’y ai passé deux ans sous la direction de Vincent Monteil qui a été un vrai mentor. Surtout que c’était un peu comme rentrer dans le « grand bain », dans un milieu vraiment professionnel. C’était extrêmement intéressant !
Si vous n’aviez pas été mezzo-soprano, quelle voix auriez-vous aimé avoir (toutes voix confondues, femme ou homme) ?
Dans les voix d’homme, je pense que j’aurais aimé être baryton. J’aime bien les voix graves ! Je dirais donc même baryton-basse. Sinon, soprano. J’aime beaucoup les sopranos lyriques, plus particulièrement les rôles qu’on leur attribue. Mais je suis très contente d’être mezzo-soprano !
Qu’est-ce que cela fait d’être nommée dans la catégorie « Révélation Artiste Lyrique », puis de chanter lors de la cérémonie des Victoires de la Musique Classique et de finir lauréate ?
C’était tout un processus, une grande aventure ! Le simple fait qu’on m’annonce que je faisais partie des trois nommées… c’était complètement fou ! J’étais vraiment fière, vis-à-vis de ma famille et du milieu professionnel. On se dit que c’est un peu une reconnaissance, donc ça fait vraiment plaisir. Après cette annonce, on a vite commencé à se préparer : il y avait notamment le fameux concert des Révélations le 14 janvier, au Studio 104 (de Radio France). Là aussi, c’était encore une autre étape, très stressante, mais cela reste bien sûr un bon moment. De mémoire, le jury était présent à ce concert et son vote comptait pour moitié, ce qui n’est pas rien. Après, il restait encore un mois avant la grande cérémonie. C’était un peu l’apothéose, même si c’était encore plus stressant, on ne va pas se mentir ! Mais au final, c’était juste incroyable : on n’arrive pas à croire qu’on est là, que cette fois-ci, dans la télévision, c’est nous ! Il y a quelque chose de surréaliste… Alors finir lauréate, on n’en parle même pas ! J’ai ressenti une vague d’émotion forte au moment où mon nom a été dit. Je pense que c’est un souvenir inoubliable. En plus, la cérémonie se déroulait dans ma région, j’étais donc d’autant plus fière : après tout, c’est là où tout a commencé.
Comment avez-vous préparé ces concerts (celui des Révélations, ainsi que la cérémonie avec cette zarzuela) ?
Pour le concert des Révélations, je savais que je devais présenter trois œuvres, et je connaissais aussi à peu près le nombre de minutes auquel j’avais droit. J’ai réfléchi avec mon professeur de chant, mon pianiste (Antoine Palloc), ou encore mon agent. On a beaucoup discuté sur ce qui était le plus juste, sur ce qui me correspondait. Ca a donné une sorte de brainstorming (rire). Au final, il s’agissait quand même d’œuvres que je connaissais, que j’avais déjà interprétées. Donc ce n'était que de la joie ! Et pour ce qui est de la zarzuela à la cérémonie, c’est assez drôle, parce que j’ai participé au concours Viñas fin janvier, où j’ai fini deuxième et où j’ai gagné le prix de la zarzuela. Même si obtenir le deuxième prix, c’est déjà énorme, lorsque je me suis inscrite dans la catégorie de la zarzuela, c’était vraiment ce prix-là que je voulais parmi tous les autres. Et il y avait donc cette fameuse zarzuela (« Las hijas del Zebedeo »), qui pour le coup m’a vraiment portée bonheur. Je l’ai donc proposée pour la cérémonie des Victoires, et ça a été accepté !
Pourquoi vouliez-vous tant ce prix de zarzuela ?
Parce que c’est toujours très délicat, en tant qu’étrangère au pays, d’arriver et de chanter dans la langue – ici en espagnol. C’était un peu une façon aussi de me tester, notamment sur ma prononciation, et voir si ça passait, si ça fonctionnait. Quand j’ai commencé à travailler ce répertoire, je l’ai tout de suite adoré. Je suis tombée amoureuse de ce style de musique très espagnol, qui « bouge » j’ai envie de dire. C’était une belle découverte.
Même si cela ne fait même pas encore une semaine, est-ce que vous sentez que cette victoire vous apporte déjà quelque chose ? A part peut-être des demandes d’interviews…
Je pense que c’est effectivement encore un tout petit peu tôt pour se rendre compte. Après, je suis très honorée, parce qu’à la suite des Victoires, j’ai été invitée au concert de solidarité pour l’Ukraine à l’Opéra Comique qui a lieu dimanche prochain. Rien que par cette invitation, je me sens déjà très honorée d’être associée à ce type d’événement. Mis à part ça, je n’ai pas encore toutes les propositions… mais on espère ! Il n’y a pas de raison : je me dis que ça m’a forcément donné de la visibilité, et à partir de là, il faut faire son chemin tranquillement.
Quel rôle rêvez-vous d’interpréter ?
C’est amusant, parce que dans toutes les interviews, c’est vraiment la question qui revient ! Je rêve de chanter Charlotte, dans Werther. Je me souviens que lorsque j’ai déchiffré le rôle, j’ai eu un coup de cœur. C’est drôle, parce que quand j’ai appris les airs, j’ai appris très rapidement la musique. C’était extrêmement naturel ! C’en était même déconcertant. Donc oui, j’espère pouvoir faire ce rôle un jour, ou même bientôt !
Est-ce qu’il y a une Charlotte, un modèle qui vous inspire ?
Etrangement non, mais il y a une production qui m’a beaucoup remuée : c’était avec Roberto Alagna et Elina Garanča, à Vienne me semble-t-il, avec une robe entièrement en noir… Il y avait quelque chose de tellement dramatique dans la manière dont chacun disait ses phrases, ses mots… C’était poignant. Mais sinon, je n’ai pas de modèle. En tout cas sur ce rôle. En revanche, pour ce qui est d’un modèle d’artiste, j’ai effectivement un modèle féminin, malheureusement décédée : c’est Régine Crespin. Pour moi, c’est un peu comme une déesse pour le chant !
Est-ce qu’il y a des artistes avec lesquels vous aimeriez travailler ?
C’est dur comme question, parce qu’il y a tellement d’artistes… Mais en fait non, au final, il n’y a pas vraiment d’artiste précis avec qui j’aimerais travailler plus que les autres : en réalité, ce qu’il y a de bien sur une production, c’est cet esprit presque de troupe qui se crée, un peu comme une petite famille de la production. Les gens sont souvent sympathiques, et au final, c’est ce qui me plaît beaucoup.
Vous aimez donc la zarzuela, mais est-ce qu’il y a un genre que vous appréciez particulièrement ?
Je dirais que j’aime beaucoup la musique très romantique, et peut-être le romantisme français plus qu’allemand. Et puis quelque part, ça va aussi avec ma voix. J’espère aborder pas mal de ce répertoire prochainement.
Après cette Victoire et ce concert dimanche, quels projets vous attendent ?
Je pars à Genève pour une production à la fin du mois, à savoir Jenufa de Janáček qui sera donnée en mai et dans laquelle je vais interpréter Karolka. Après, j’ai pas mal de concerts à Madrid, suite au concours Viñas. Il y aura aussi le concert des Révélations aux Invalides, et le festival de Cadaqués m’a également invitée. Je chanterai aussi au festival de Radio France, dans un récital fin juillet. Après, sur les saisons à venir, je ne peux pas forcément encore en parler, mais je vais en tous cas retourner à Strasbourg au cours des prochaines années…
Un mot de la fin ?
Par rapport aux Victoires qui ont eu lieu il y a une semaine : merci ! Evidemment, un grand merci, pour tout le soutien de tout le monde. C’était incroyable.
Propos recueillis par Elodie Martinez le 15 mars 2022
© Oceane Seyer
18 mars 2022 | Imprimer
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