Le 8 mars dernier se tenait la journée internationale des droits des femmes, rappelant que le combat pour l’égalité des sexes n’est pas encore gagné. Le domaine de l’art lyrique ne fait pas exception et c’est pourquoi l’initiative lancée par la Royal Opera House de Londres et visant à recruter davantage de femmes cheffes d'orchestre pour diriger ses opéras est à souligner.
Le constat est en effet on ne peut plus clair : si dans les conservatoires, la discrimination semble relativement absente, il n’en est pas de même pour les carrières qui suivent les études. Cela se voit chez les solistes instrumentaux, les postes à haute responsabilité (tels que les postes de directions, puisque en 2016, 89% des institutions musicales et 96% des maisons d'opéra étaient dirigées par des hommes), les compositions (en 2016, seuls 4% des oeuvres écrites par des femmes étaient programmées), ou encore dans la direction d’orchestre : il y a deux ans, la SACD (la société des auteurs et compositeurs dramatiques) recensait 21 femmes cheffes pour 586 hommes dans ce domaine.
Si l’opéra se modernise en s’ouvrant davantage aux différents publics, son fonctionnement interne semble donc plus lent à évoluer : au début des années 2000, les musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Vienne (alors des hommes) avaient ainsi par exemple refusé de laisser Claire Gibault les diriger, et cela même pendant les répétitions. Il a fallu attendre 2013 pour que, pour la première fois, une femme (Marin Alsop) dirige la célèbre Last Night of the Proms du festival londonien. Selon Laurence Equilbey, « il y a de plus en plus de bonnes baguettes au féminin. Le drame c’est qu’on ne leur donne quasiment jamais la possibilité de prendre de l’épaisseur artistique, alors que cette chance est donnée aux jeunes chefs masculins ».
Les noms féminins sont donc rares à la tête des orchestres, mais il n’en demeurent pas moins que les mentalités évoluent (lentement) et que les cheffes se font plus présentes. On pense par exemple à Emmanuelle Haïm et son ensemble Le Concert d’Astrée ; Susanna Mälkki, cheffe principale du Philharmonique d'Helsinki et invitée sur les principaux podiums de la planète lyrique (elle fut notamment la première femme à diriger depuis la fosse de la Scala) ; Simone Young à la tête de l'Opéra de Sydney ; Laurence Equilbey à l'origine en 2012 de l'Insula Orchestra jouant sur instruments d'époque. D’autres ont fait leurs armes comme chanteuses avant de se consacrer à la direction d'orchestres, comme Barbara Hannigan (qui chantera dans La Voix Humaine à Paris ce mois-ci) ou la contralto Nathalie Stutzmann, ayant fondé son ensemble Orfeo 55 (elle vient de donner un récital à Montpellier et nous l’avions entendue dernièrement à Gstaad), entre autres.
Mais si quelques noms émergent, les cheffes restent rares et pour contribuer à y remédier, la Royal Opera House, avec le National Opera Studio et le RPS Women Conductors Programme, organise une formation destinée aux (jeunes) cheffes soucieuses de se former plus spécifiquement à la direction d'orchestre d'opéra – s'adressant donc aux musiciennes ayant déjà acquis une bonne compréhension du fonctionnement de l'opéra, mais sans pour autant avoir déjà dirigé professionnellement ou au sein d'une maison d'opéra. Cette formation se tiendra du 3 au 7 septembre prochains au National Opera Studio de Londres et couvriront les compétences spécifiques que l’on attend d’un chef d'orchestre : préparation de partitions, approches de différents styles ou répertoires, le travail de récitatifs, ou encore la coordination entre chanteurs et instrumentistes.
Le programme a été inspiré par le travail de RPS Women Conductors et d'Alice Farnham, cheffe d’orchestre anglaise, et sera dirigé par des chefs d'orchestre et des musiciens de la Royal Opera House et du National Opera Studio, ainsi que des invités de renom, dont Sian Edwards et Mark Shanahan, qui aideront les participantes à développer les compétences de direction dans un environnement d'apprentissage favorable.
Le directeur musical de la Royal Opera House, Antonio Pappano, se dit « enthousiaste à l'idée de faire figure de pionnier dans le cadre de cette formation destinée aux jeunes cheffes d'orchestre (...) » et « espère que ce travail commun pourra encourager et nourrir, voire initier des changements attendus de longue date dans un environnement créatif ».
15 mars 2018 | Imprimer
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