Gwyneth Jones

D’un parcours exceptionnel qui a fait d’elle une des plus grandes sopranos dramatiques de la fin du XXème siècle, on retiendra un moment privilégié qui justifie à lui seul l’entrée de Gwyneth Jones dans la légende de l’art lyrique : durant cinq années, de 1976 à 1980, à Bayreuth, elle fait sensation en Brünnhilde dans le fameux Ring mis en scène par Patrice Chéreau et dirigé par Pierre Boulez. Si les grandes héroïnes de Verdi, Puccini et Richard Strauss ont permis à la soprano galloise de donner toute la mesure de son formidable talent de chanteuse-actrice, c’est Wagner qui lui a offert ses plus inoubliables succès, que ce soit au Festival de Bayreuth ou sur les plus prestigieuses scènes internationales. Elle a abordé tous les grands rôles wagnériens depuis ses débuts en 1966, sur la « Colline sacrée », en Sieglinde dans La Walkyrie. En 1972, elle a même réalisé l’exploit de chanter lors d’une même représentation les deux rôles de Vénus et d’Elisabeth dans Tannhäuser. Mieux qu’aucune autre, Gwyneth Jones avait le don de bouleverser le public par une simple nuance, par un simple geste qui révélait soudain toute l’humanité d’un personnage.

Gwyneth Jones ; © DR

Gwyneth Jones voit le jour le 7 novembre 1936, au cœur du Pays de Galles, à Pontnewynydd, une ville proche de Cardiff. Elle pratique le chant dès son plus jeune âge en rêvant d’une carrière artistique : « Je ne savais pas si je serai tragédienne, comédienne ou chanteuse d’opéra, mais j’étais irrésistiblement attirée par la scène », confiera-t-elle plus tard. Elle obtient une bourse pour entrer au Royal College of Music de Londres dont elle semble avoir complètement adopté la devise : « Celui qui lutte réussit ». Elle pratique avec passion toutes les disciplines qui s’offrent à elle, que ce soit le théâtre, la danse ou même l’escrime et elle complète sa formation à la fameuse Accademia Chigiana de Sienne. En 1962, elle débute à Zurich comme mezzo-soprano dans le rôle d’Orphée de L’Orphée et Eurydice de Gluck mais très rapidement, guidée par les conseils de ses différents professeurs, la jeune chanteuse découvre sa véritable voix de soprano dramatique en travaillant l’extension de sa voix vers les aigus. A partir de 1963, sa carrière va prendre son essor dans le cadre prestigieux de Covent Garden où elle chante Amelia dans Un Bal masqué de Verdi. En novembre 1964, Leontyne Price doit renoncer à chanter Leonora dans Le Trouvère de Verdi dirigé par Carlo Maria Giulini et mis en scène par Visconti : Gwyneth Jones la remplace au pied levé et remporte un triomphe. Une nouvelle opportunité se présente bientôt : Régine Crespin, souffrante, lui laisse sa place dans Fidelio de Beethoven. Le succès est complet et tous les plus grands opéras la réclament : elle a acquis une stature internationale qui en fait une artiste incontournable avec laquelle souhaitent travailler tous les chefs et tous les metteurs en scène. Elle se produit à Vienne, à Munich, à Milan ou à Genève et si Wagner demeure son compositeur de prédilection, Gwyneth Jones est aussi une grande verdienne dotée d’une splendide voix de lirico-spinto. Tout au long de sa carrière, elle s’illustre en Elisabeth dans Don Carlo, en Desdemone dans Otello ou encore en Lady Macbeth. Puccini lui offre aussi de grands triomphes avec Tosca et le rôle de Cio-Cio-San dans Madame Butterfly.

Gwyneth Jones en Salome ; © DR

Marchant sur les traces d’une Birgitt Nilson ou d’une Leonie Rysanek, Gwyneth Jones s’épanouit pleinement dans l’opéra allemand où ses dons de tragédienne font merveille. Elle rayonne dans Fidelio, l’unique opéra de Beethoven, avec lequel elle a fait ses premiers pas sur la scène du Staatsoper de Vienne et du Bayerische Staatsoper de Berlin en 1966. L’univers de Richard Strauss est aussi un des domaines de prédilection de la soprano galloise qui incarne avec une émotion frémissante la Maréchale du Chevalier à la rose. En 1970, à Hambourg, elle aborde Salomé, sous la direction de Karl Böhm. C’est un événement tant ce rôle alliant le chant et la danse semble idéalement fait pour elle : « Là, je me sens une artiste complète. Quel dommage qu’il n’y ait pas plus d’opéras où l’on danse ! » confie-t-elle un jour. A partir de 1983, Gwyneth Jones s’empare d’un autre grand rôle straussien, Elektra qu’elle chantera dans le monde entier avec tout l’engagement qui est la marque de sa personnalité ardente.

Avec les années, Gwyneth Jones va s’orienter progressivement vers des rôles de mezzo-soprano comme celui de Kostelnicka dans Jenufa de Janacek ou encore celui de Clytemnestre dans Elektra. Bien sûr, cette grande carrière menée tambour battant l’a, avec le temps, fatiguée et, dans les dernières années de son activité, sa voix en a ressenti le poids, accusant parfois un vibrato alourdi. Mais la richesse de ses incarnations, l’éventail de ses possibilités et la force de son caractère, ont fait de « la Jones », comme on l’appelait partout, une des icônes du chant international, saluée par les plus hautes marques de reconnaissance. Ainsi, en 1976 et 1977, tard elle reçoit le rare et prestigieux titre de « Kammersängerin » des Opéras de Munich et de Vienne ! Et, en 1986, la reine Elisabeth II la fait « Dame de l’Empire britannique ». La France, elle, la fera en 1992 Commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Retirée des grandes scènes mais toujours attentive à la vie lyrique, voire prête à de nouveaux défis (elle a ainsi fait, en 2012, une apparition dans Quartet, un film de Dustin Hoffman !) Dame Gwyneth Jones, âgée de 85 ans, vit aujourd’hui à Zürich, avec dans la tête et dans le cœur les souvenirs merveilleux d’une des plus grandes artistes de son époque.

Catherine Duault