Informations générales
- Nom:Lehmann
- Prénom:Lotte
- Date de naissance:27/02/1888
- Date de mort:26/08/1976
- Nationalité:Allemagne
- Tessiture:Soprano
Biographie
Lotte Lehmann est incontestablement une des plus grandes chanteuses du XXème siècle. Sa carrière, d’une diversité passionnante, reflète la richesse de la vie musicale de son époque et les heures tragiques de l’histoire de son pays natal, l’Allemagne. Le nom de cette soprano d’exception est étroitement associé à celui d’un compositeur pour lequel elle était l’interprète « idéale », Richard Strauss. Ce dernier lui a confié la création du Compositeur d’Ariane à Naxos, de la Teinturière de La Femme sans ombre, et de Christine d’Intermezzo. Au cimetière central de Vienne où reposent Beethoven, Schubert, et Brahms, on peut lire sur la tombe de Lotte Lehmann une phrase de Richard Strauss qui célèbre la beauté de la voix d’une femme au rayonnement hors du commun : « Elle a chanté et les étoiles en ont été émues ». Son chant était le reflet de son âme généreuse et elle suscitait d’emblée l’adhésion du public enthousiasmé par sa spontanéité, toujours associée à une imagination musicale qui magnifiait les innombrables rôles qu’elle a durablement marqués de son empreinte, que ce soit Elsa, Elisabeth ou Sieglinde, chez Wagner, ou bien, la Léonore de Beethoven et la Desdémone de Verdi.
Lotte Lehmann dans le Chevalier à la rose ; © DR
Lotte Lehmann dans Die Meistersinger ; © DR
Lotte Lehmann est née le 27 février 1888, à Perleberg, dans le Brandebourg. Elle fait ses études à la Hochschule für Musik de Berlin et prend des cours avec Mathilde Mallinger (1847-1920), célèbre soprano croate, créatrice du rôle d’Eva dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg de Wagner. La jeune femme fait ses débuts avec Mozart, dans le rôle du second garçon de La Flûte enchantée, à l’Opéra de Hambourg, en 1910. Engagée dans la troupe, elle se voit progressivement attribuer des rôles de plus en plus importants, en particulier dans les opéras de Wagner dont elle devient une des meilleures interprètes. En 1914, sa carrière prend un nouvel essor : après avoir abordé Sieglinde dans La Walkyrie et Octavian dans Le Chevalier à la rose de Richard Strauss, Lotte Lehmann est acclamée en Elsa dans Lohengrin à l’Opéra de Berlin. Bientôt, Londres l’accueille au Drury Lane pour un Chevalier à la rose où elle est maintenant Sophie. Dix ans plus tard, en 1924, pour ses débuts à Covent Garden, la chanteuse interprètera dans le même ouvrage, sous la direction de Bruno Walter, le rôle auquel la postérité l’a principalement associée, celui de la Maréchale, qu’elle reprendra chaque saison, durant quatorze ans. Lotte Lehmann aura interprété les trois rôles féminins du Chevalier à la rose en s’appropriant définitivement celui de la Maréchale, qu’elle chante près d’une cinquantaine de fois à l’Opéra de Vienne, son port d’attache pendant plus d’une vingtaine d’années. C’est là que le 4 octobre 1916, la chanteuse, repérée par Richard Strauss, crée le rôle du Compositeur dans la version révisée d’Ariane à Naxos. C’est le début d’une collaboration étroite avec le musicien dont elle va désormais partager la préférence avec sa principale rivale, Maria Jeritza (1887-1982), qu’on a surnommée « la prima donna du siècle ». Cette soprano tchèque dont on a célébré la « formidable aura érotique » et la « voix littéralement volcanique » était une redoutable concurrente… Strauss avait une passion pour les deux chanteuses. Le 10 octobre 1919, il les réunit pour la création de La Femme sans ombre : Jeritza est l’Impératrice, Lehmann, la Teinturière. Le 4 novembre 1924, à Dresde, c’est Lotte Lehmann qui a la préférence pour la création du rôle de Christine dans Intermezzo et c’est elle encore qui sera choisie, dix ans plus tard, pour la première viennoise d’Arabella, d’abord créée à Dresde en 1933 par une autre rivale de Lehmann, la soprano roumaine Viorica Ursuleac (1894-1985). Maria Jeritza et Lotte Lehmann « s’affrontèrent » sur la scène de l’Opéra de Vienne à travers bien d’autres compositeurs, que ce soit Korngold, Halévy, Wagner, et surtout Puccini. Lotte Lehmann triomphait dans La Bohème, Madame Butterfly, et Manon Lescaut mais elle devait « batailler ferme » pour Tosca, et surtout Turandot, que Puccini avait écrit en pensant à Maria Jeritza. En dehors des apparitions de sa rivale à Vienne, l’atmosphère s’apaise pour Lotte Lehmann car la carrière de Maria Jeritza se déroule essentiellement à New-York, ce qui laisse le champ libre à sa concurrente en Europe. Lotte Lehmann devient ainsi une star au Covent Garden de Londres, où elle interprète surtout les grands rôles mozartiens, wagnériens et, bien sûr, straussiens. On peut l’entendre au Staatsoper de Berlin, à Munich, à l’Opéra de Paris et surtout au Festival de Salzbourg, où elle règne de 1926 jusqu’à ses adieux en 1937. Chaque été, elle emporte tous les suffrages, dirigée par les plus grands chefs, de Richard Strauss lui-même à Arturo Toscanini. Elle y donne également des récitals de lieder, accompagnée par Bruno Walter qui suit fidèlement sa carrière.
Lotte Lehmann et ses beaux-fils ; © DR
Le 28 octobre 1930, la soprano allemande fait ses débuts aux Etats-Unis, à Chicago, en Sieglinde dans La Walkyrie de Wagner. C’est avec le même rôle qu’elle débute au Metropolitan Opera de New-York le 11 janvier 1934. Lotte Lehmann s’y produira régulièrement jusqu’à ses adieux, en 1945, dans un de ses emplois emblématiques, la Maréchale, qui lui a valu de faire la couverture du Times en 1935. Inévitablement, Lotte Lehmann va être prise dans le tourbillon de l’Histoire. Le 1er octobre 1937, elle donne à la Musikverein un récital qui sera son adieu à cette Autriche qu’elle considérait comme sa « patrie artistique ». En mai 1938, lors d’un Chevalier à la rose donné à Covent Garden, la chanteuse s’évanouit au milieu du premier acte, oppressée par ses angoisses face aux dangers qui menacent les siens : quatre de ses beaux-enfants sont d’origine juive. Lotte Lehmann choisit alors de quitter l’Allemagne nazie pour s’installer définitivement aux Etats-Unis avec son mari, Otto Krause, épousé en 1926. Le 5 août 1938, la famille au complet parvient à s’embarquer au Havre pour rejoindre New-York où on leur accordera la nationalité américaine.
Exception faite d’une tournée en Australie, et d’une seconde en Nouvelle-Zélande, Lotte Lehmann ne chantera plus qu’aux Etats-Unis jusqu’à sa dernière apparition sur une scène lyrique en 1946, à San Francisco, en Maréchale. Elle donnera encore de nombreux récitals jusqu’en 1951, puis elle se consacrera à l’enseignement, notamment à la Music Academy of the West de Santa Barbara où elle aura pour élèves Marilyn Horne et Grace Bumbry. Ses cours visaient surtout à faire travailler l’interprétation sans trop s’attarder sur la technique vocale car le génie de cette artiste résidait essentiellement dans sa capacité à interpréter ses personnages avec une intensité et une émotion qui emportaient littéralement le public. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter, par exemple, l’enregistrement du deuxième acte de La Walkyrie donnée en 1936, à San Francisco. Fritz Reiner est au pupitre et Kirsten Flagstad est pour la première et unique fois confrontée à Lotte Lehmann. On pourrait ajouter la captation du premier acte du même ouvrage, dirigé par Bruno Walter, avec un des partenaires favoris de la chanteuse, Lauritz Melchior. On a souvent souligné ses approximations dans le rythme comme son style parfois haché, mais elle savait tirer parti de ces défauts pour redoubler de ferveur dramatique. Comme le disait Richard Strauss : « Mademoiselle Lehmann « nage » certes. Mais, même quand elle « nage », c’est elle que je préfère aux autres ! »
Lotte Lehmann et Régine Crespin ; © DR
En novembre 1955, Lotte Lehmann retrouve Vienne à l’occasion de la réouverture du Staatsoper reconstruit après le bombardement de 1945, mais elle est là en spectatrice… Pourtant, elle est acclamée par un public qui a religieusement conservé le souvenir de ses magnifiques interprétations. Tout en ayant consacré toute sa vie au chant, sans jamais avoir voulu d’enfant qui aurait pu l’en distraire, Lotte Lehmann a trouvé le temps d’aborder l’écriture en publiant en 1937 un roman, Orplid mein Land. Elle a également écrit une autobiographie et un livre de souvenirs, Five Operas and Richard Strauss, paru en 1964. En 1962, elle s’est aussi essayée à la mise en scène avec un Chevalier à la rose dont la Maréchale était… Régine Crespin. Le temps a passé. Lotte Lehmann s’est éteinte le 26 août 1976, à Santa Barbara, laissant à jamais le souvenir d’une artiste inclassable dont l’engagement et la profonde humanité restent encore perceptibles dans de nombreux enregistrements de référence. Elle avait alors 88 ans mais elle était encore jeune. En fait, elle est toujours présente au cœur des mélomanes du monde entier.
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