Décès de Grace Bumbry, la « Vénus noire »

Xl_bumbry-1 © DR

Ce dimanche 7 mai, la cantatrice américaine Grace Bumbry est décédée à l’âge de 86 ans à Vienne, sa ville d’adoption. Elle avait été victime d’un AVC en octobre dernier, alors qu'elle se rendait à New York pour recevoir une récompense pour sa carrière. Elle était rentrée quelques semaines plus tard dans la capitale autrichienne.

Née le 4 janvier 1937 à Saint-Louis, dans le Missouri – où auront lieu ses obsèques – d’une institutrice et d’un employé des chemins de fer, elle découvre à 10 ans lors d’un concert Marian Anderson, la première artiste noire à s’attaquer au chant lyrique. C’est une révélation, et à 17 ans seulement, elle remporte une compétition radiophonique en interprétant « O Don fatale ». Victime de ségrégation, la bourse d’étude comprise dans le prix de cette compétition lui est finalement refusée, mais elle parvient à participer à une autre émission diffusée à l’échelle nationale, ce qui lui permet d’entrer au College of Fine Arts de l’université de Boston. Elle part ensuite pour Chicago en 1955, aux côtés de Lotte Lehmann qui la prend sous son aile. Elle remporte le premier prix au Metropolitan Opera Council Auditions en 1958, et décide alors de partir pour l’Europe, et plus précisément l’Opéra de Paris où elle est engagée. Elle devient alors la première chanteuse lyrique noire à fouler la scène de la maison parisienne grâce au rôle d’Amneris dans Aïda en 1960.

Un an plus tard, le petit-fils de Richard Wagner, Wieland Wagner, la choisit pour la Vénus de Tannhäuser au festival de Bayreuth. Le succès est immense : pas moins de 30 minutes d’ovation et 42 rappels ! Celle que l’on surnomme dès lors la « Vénus noire » est là aussi pionnière, puisqu’elle est alors la première personne de couleur a obtenir un rôle majeur dans ce festival, suscitant bien des réactions racistes qui n’empêcheront pas Wieland Wagner de l’inviter à nouveau en 1962. Sa voix riche et puissante, conjuguée à une palette vocale étendue et maîtrisée ainsi qu’à un timbre chaud et envoûtant lui permet de marquer les esprits et de multiplier les invitations et les succès. Son ascension est fulgurante. Encore une fois pionnière, elle est conviée à la Maison Blanche afin d’y chanter pour le président Kennedy.

Sa carrière se poursuit ensuite sur les plus grandes scènes : elle fait ses débuts au Covent Garden en 1963, à La Scala et à l'Opéra d'État de Vienne en 1964, au Metropolitan Opera en 1965 ou encore à Salzbourg et à San Francisco en 1966. Au cours de son impressionnante carrière, elle passe du registre de mezzo-soprano à celui de soprano. Elle chante même le rôle-titre de Norma et celui d’Adalgisa en alternance dans la même production à Covent Garden. Elle alterne également Aida et Amneris, Vénus et Elisabeth dans Tannhäuser, ou Cassandre et Didon dans Les Troyens. Elle fait finalement ses adieux officiels en Klytämnestra dans Elektra, avant de se consacrer à l’enseignement.

Néanmoins, elle donnera une série de récitals en l’honneur de Lotte Lehmann en 2001 et 2002, avant de se laisser convaincre par Jean-Luc Choplin de remonter sur scène en 2010 pour Treemonisha de Scott Joplin. Elle avait par ailleurs fondé en 2009 la Grace Bumbry Vocal and Opera Academy, à Berlin, et n’avait pas hésité à prendre position récemment, à 85 ans, lorsque Angel Blue s’était retirée de la production de La Traviata aux Arènes de Vérone. Elle avait alors déclaré : « Depuis cinquante ans que je chante à l’opéra, j’ai toujours utilisé le maquillage blanc, quand c’était nécessaire, et le maquillage noir, quand c’était nécessaire aussi. Bien sûr, ma préférence va au maquillage du visage en noir, mais pour être parfaitement honnête, cette préférence va à l’encontre de mon sens artistique de la crédibilité. Mon armoire à maquillage va de l’égyptien foncé au blanc de craie pour Turandot, en passant par toutes les couleurs intermédiaires. » (voir sa déclaration reprise dans un article de Diapason).

Elle laisse également derrière elle une riche discographie chez Decca, Deutsche Grammophon, EMI, Philips, Sony Classical ou encore RCA, ainsi qu’une Carmen captée en studio en 1967, un an après son interprétation à Salzbourg sous la direction de Herbert von Karajan. Elle recevait encore en juillet dernier le Prix Celletti 2022 lors du festival de la vallée d'Itria. Grace Bumbry s'est éteinte ce dimanche 7 mai à Vienne. 

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