L’Allemagne mène actuellement une réforme de son audiovisuel public. La chaîne culturelle 3sat, connue outre-Rhin pour ses retransmissions d’opéras, pourrait être progressivement fusionnée avec la chaine franco-allemande Arte. Ce rapprochement suscite néanmoins des inquiétudes chez les artistes.
Les téléspectateurs français connaissent évidemment Arte, chaine culturelle franco-allemande que les mélomanes apprécient notamment pour ses retransmissions d’opéra – notamment via sa plateforme Arte Concert. Les téléspectateurs germaniques connaissent aussi 3sat, chaine de télévision publique diffusée en Allemagne, en Autriche (avec l'ORF) et en Suisse, qui propose également une programmation culturelle, scientifique et éducative – incluant les retransmissions de nombreux opéras depuis les théâtres et festivals allemands, autrichiens et suisses.
Vers un rapprochement entre les chaînes culturelles 3sat et Arte
Comme en France, l’Allemagne mène actuellement une réforme de son audiovisuel public et dans le cadre de mesures d’économies, les responsables politiques d’outre-Rhin envisagent la disparition de 3sat, dont les programmes pourraient être fusionnés à ceux d’Arte et de ses plateformes numériques.
Il faut dire que l’audiovisuel public allemand est particulièrement touffu : une vingtaine de chaines de télévision thématiques et 74 stations de radio essentiellement régionales, pour un budget de quelque 10 milliards d’euros financé à 85% par la redevance – à titre de comparaison, l’audiovisuel public français pèse environ quatre milliards d’euros aujourd’hui. La structure des médias publics allemands, héritée de la période d’après-guerre et de sa volonté de ne pas centraliser les médias, relève donc des différents Länder, mais fait aujourd’hui l’objet de critiques : le modèle serait trop couteux, présenterait des redondances et serait mal armé pour rivaliser avec les plateformes de vidéos à la demande comme Netflix ou Prime Video.
Pour mutualiser les coûts et les investissements notamment dans le numérique, la commission audiovisuelle des Länder travaille actuellement sur un projet de réforme : seize stations de radio pourraient être supprimées et plusieurs chaînes de télévision fusionnées – incluant donc 3sat et Arte.
Les artistes se mobilisent en faveur de 3sat
Si l’avenir de 3sat n’est pas encore définitivement acté et qu’une éventuelle fusion avec Arte semble complexe sur un plan juridique et politique, le projet suscite néanmoins des inquiétudes dans le monde culturel. Une pétition en ligne contre la fusion réunit déjà plus de 140 000 signatures outre-Rhin. Et sollicité par IMZ International Music + Media Centre qui promeut le spectacle vivant dans les médias, de nombreux artistes, notamment musiciens, prennent position en faveur du maintien de la chaine culturelle germanique.
La violoniste Anne-Sophie Mutter estime par exemple que « 3sat est un phare de la télévision germanophone, synonyme de programmes et de journalisme de qualité, et est donc à ce titre indispensable. Voulons-nous vraiment continuer à réduire nos espaces culturels ? Ou bien, compte tenu de l'évolution actuelle de la société, n'est-il pas grand temps d'inverser cette tendance ? Pour davantage de culture et d'éducation culturelle, pour un journalisme riche et éclairant, toujours prêt à penser différemment et à prendre des risques ».
Le baryton Christian Gerhaher s’interroge également : « Qui veut vraiment que 3sat disparaisse – les politiciens ou les radiodiffuseurs eux-mêmes ? En observant les tendances de ces dernières années, cela semble presque systématique et intentionnel (...). Si les radiodiffuseurs publics abandonnent leur mission éducative, ils ne pourront bientôt plus être distingués des chaînes privées. À ce moment-là, les autorités devront à nouveau expliquer pourquoi les contribuables devraient continuer à payer des redevances de radiodiffusion. Ce pourrait être le début de la fin, une fin dont on se souviendra longtemps ».
Même revendication pour Juan Diego Florez : « les médias de service public ont toujours été une force motrice pour les arts du spectacle. Notre monde continue de changer à un rythme de plus en plus rapide, mais l'accès aux arts et à la culture doit être disponible pour tous et il nous appartient de nous battre pour le préserver ».
De son côté, Sonya Yoncheva se dit « très préoccupée par le projet d'intégration de 3sat dans Arte. Cela signifierait la dissolution d’une chaîne de télévision indispensable, qui contribue de manière si précieuse à la diversité du paysage culturel et médiatique. 3sat est une chaîne de télévision qui se suffit à elle-même et qui, grâce à son contenu de qualité, apporte une contribution essentielle au programme de télévision en Allemagne, en Autriche et en Suisse ».
Pour Lotte de Beer, la metteuse en scène et directrice du Wiener Volksoper, « 3sat informe, inspire et connecte. En tant que Néerlandaise, je suis frappée par l'importance de la culture et du théâtre musical en Autriche, en Allemagne et en Suisse. 3sat s'impose comme un canal culturel remarquable et indispensable. À une époque où l'art et la culture sont de plus en plus menacés, il est vital de maintenir des plateformes comme 3sat. Nous devons travailler ensemble pour que cette chaîne inestimable continue à servir de vitrine à la créativité et de plaque tournante au dialogue culturel. Préserver 3sat, c'est s'engager en faveur de l'éducation culturelle et de la promotion de l'art sous toutes ses formes ».
Face à la mobilisation, le projet de fusion entre les deux chaînes est manifestement mis en pause par les Lander allemands, au moins partiellement. Certains des contenus de 3sat (non encore clairement arrêtés) ont néanmoins vocation à être « transférés » vers les plateformes d’Arte, afin de faire évoluer progressivement la « chaîne franco-allemande » vers une « plateforme européenne ». Le public français pourrait dès lors bénéficier d'un accès plus aisé aux retransmissions de spectacles allemands, autrichiens ou suisses. Les discussions sont toujours en cours. La réforme allemande doit être mise en œuvre à partir de l’été 2025, et doit se poursuivre jusqu’en 2033 (avec la fusion de plusieurs chaines d’informations d'ici à 2027, puis une migration progressive de certaines chaînes thématiques vers une diffusion exclusivement en ligne). En France aussi, l’audiovisuel public doit faire l’objet d’une réforme, mais Arte n’est pas concernée.
publié le 26 octobre 2024 à 08h08 par Aurelien Pfeffer
26 octobre 2024 | Imprimer
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