Le succès de Cavalleria Rusticana a sans doute contribué à éclipser le reste de l’œuvre de Pietro Mascagni. Pour ouvrir sa saison, Angers Nantes Opéra invite néanmoins à redécouvrir un autre opéra du compositeur, le rare Il Piccolo Marat, qui fait écho à un sombre épisode de l’histoire de Nantes. Aperçu d’une œuvre ayant connu un imposant succès à sa création avant d'être oubliée.
De Pietro Mascagni, la postérité a principalement retenu Cavalleria Rusticana que l’on présente traditionnellement comme l’un des opéras fondateurs du vérisme. Pietro Mascagni a pourtant composé une quinzaine d’opéras (dont certains ont connu un solide succès à leur création) et le compositeur rejetait vigoureusement les principes véristes – il affirmait que « le verismo assassine la musique ; seule la poésie et le romantisme peuvent donner des ailes à l’inspiration ».
Mascagni, compositeur incompris ? Peut-être. Pour découvrir une autre facette moins connue de son travail, Angers Nantes Opéra a la bonne idée d’ouvrir sa saison avec l’un de ces opéras oubliés du compositeur, Il Piccolo Marat. L’ouvrage est peut-être l’un des plus représentatifs de la fougue et de la révolte qui animaient Pietro Mascagni : le compositeur le présentait comme « l’hymne de (s)a conscience », affirmant avoir « écrit un opéra qui a les poings serrés, à l’instar de (s)on âme ».
Un épisode sombre de la Révolution
Il faut dire que ce Petit Marat puise son inspiration dans l’un des épisodes les plus sombres de la Révolution française et de la Terreur, les « noyades de Nantes ». En 1793, Jean-Baptiste Carrier avait été envoyé à Nantes pour lutter contre les révoltes vendéennes. Il purgera les prisons locales en noyant des centaines de prisonniers politiques dans la Loire (des aristocrates et membres du clergé), qu’il justifiera plus tard par sa volonté d’enrayer une épidémie de typhus dans les geôles nantaises.
Si l’opéra de Mascagni ne mentionne ni Nantes, ni Jean-Baptiste Carrier, Il Piccolo Marat met néanmoins en scène les agissements de l’Orco (l’Ogre), infâme Président du Comité de salut public pendant la Révolution, qui n’hésite ni à affamer la population, ni à voler les prisonniers dont il a la garde et encore moins à les exécuter en les entassant dans des barges avant de les couler au fond de la Loire. Le petit Marat du titre fera en sorte de gagner la confiance de l’Orco, mais pour mieux tenter de libérer sa mère, la Princesse de Fleury, des geôles de la compagnie – happy end ou fin tragique, pour ménager le suspens, on renvoie le lecteur curieux des détails du livret (et de son dénouement) vers la présentation de l'ouvrage dans notre Encyclopéra.
L’opéra de Mascagni prend quoi qu’il en soit des allures de pamphlet contre-révolutionnaire, dénonçant les violences politiques – l’ouvrage est achevé au début des années 1920, alors que Mascagni assiste à l’arrivée au pouvoir de Mussolini en Italie (le compositeur a alors encore des convictions plutôt socialistes et ce n’est que dans les années 1930 qu’il adhèrera au Parti fasciste, comme nombre de ses homologues de l’époque). Pietro Mascagni en fait une œuvre véhémente et révoltée, qui entend saisir le public aux tripes : l’Orco est détestable de noirceur, les chœurs portent tantôt les revendications du peuple, tantôt le désespoir déchirant des prisonniers, et le duo extatique du deuxième acte entre le héros et la jeune Mariella (la nièce de l’Orco qui se rallie finalement au Petit Marat) connut un succès immédiat – au point d’être bissé, puis trissé lors de la première à la demande d’un public frénétique.
« Il ne parle pas, il ne chante pas, il hurle, hurle, hurle ! »
À sa création, Il Piccolo Marat est un triomphe et rapidement, l’ouvrage fait l’objet de plusieurs reprises, d’abord en Italie (à Vérone, Venise, Milan, puis Pise ou Turin), avant de partir en tournée en Amérique du Sud, puis de nouveau à travers l’Europe – où Mascagni dirige parfois lui-même sa partition, comme lors de la création française en 1928, au Théâtre Lyrique de Paris.
Comment expliquer alors que l’œuvre ait ensuite progressivement disparu des scènes lyriques ? Peut-être à cause d’un rôle-titre particulièrement meurtrier et exigeant. Et pour cause, le « piccolo » Marat compte de nombreuses pages de partitions tutti forza, qui illustrent les tempêtes de sentiments que le compositeur insuffle dans son œuvre – qui « hurle » notamment quand le Petit Marat s’adresse au peuple dans le premier acte. Et pour autant, le rôle-titre exige aussi de la douceur et de la sensibilité, comme dans le langoureux duo d’amour avec Mariella au deuxième acte... En 1921, le rôle-titre a été créé par le ténor espagnol Hipólito Lázaro, qui l’a ensuite interprété régulièrement pendant des années lors des différentes reprises de l’ouvrage (à Paris notamment). L’opéra s’est néanmoins progressivement fait plus rare sur les scènes, en même temps que son principal interprète.
Aujourd’hui pour redécouvrir Il Piccolo Marat à Angers Nantes Opéra, le rôle-titre est confié à Samuele Simoncini. S’il est déjà familier du répertoire de Mascagni, après avoir déjà chanté dans Cavalleria Rusticana et Iris, le ténor toscan évoque néanmoins une « longue préparation » pour aborder le rôle du Petit Marat et la nécessité « d’une étude particulièrement méticuleuse » de la partition – quand bien même il a déjà chanté le rôle au Teatro Goldoni en 2021. À Angers Nantes Opéra, il partagera la scène notamment avec la jeune soprano Rachele Barchi en Mariella (qui a déjà Colombina dans Le Maschere du même Mascagni à son répertoire) ou l’imposante basse Andrea Silvestrelli dans le rôle de l’Orco.
Il Piccolo Marat sera donné en version de concert (mais mise en espace par Sarah Schinasi) au Théâtre Graslin de Nantes les 2 et 3 octobre (à 20h), puis au Grand Théâtre d’Angers le 5 octobre à 18h.
publié le 25 septembre 2024 à 13h31 par Aurelien Pfeffer
25 septembre 2024 | Imprimer
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