Retour sur le concours de chant baroque de Froville 2024

Xl__festival-de-froville © Luc Tripotin

Cela fait maintenant 13 ans que fut créé le concours de chant baroque de Froville (en lien avec le festival), qui se tient entre le château de Lunéville et l’Eglise de Froville. Celui-ci est « destiné à déceler les talents de demain » et a pour objectif de « révéler des artistes encore méconnus, de les soutenir dans leur démarche d’artistes et de les aider à s’ancrer dans le monde musical professionnel ». Pour cela, il « récompense les meilleures interprétations vocales dont les œuvres sont nécessairement puisées dans le répertoire de la période baroque ».

Cette édition était annoncée comme particulièrement prometteuse : face à l’excellent niveau général des candidats, le concours n’a pas pu se résoudre à n’en sélectionner que 16 et a augmenté ce nombre à 18 (selon le communiqué, et 19 selon le site bien que ce dernier n’en détaille effectivement que 18). La finale se tenait dimanche dernier, mais nous n'avons pu nous rendre pour notre part qu'à la demi-finale proposée jeudi 19 septembre dans la chapelle du château de Lunéville. Nous avons donc entendu les candidats dans ce contexte précis et non dans celui de la finale – mais également sous la pression malaisante du récent directeur artistique des lieux, qui nous avait intimé de taire nos éventuelles critiques à l'égard des candidats ; ce qu'on ne peut évidemment pas faire, sans liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur.

La demi-finale : un incroyable vivier de jeunes talents

Alors que nous prenions place dans la chapelle du château de Lunéville jeudi dernier, nous nous réjouissions par avance de retrouver trois noms découverts le weekend précédent, à commencer par Rémy Brès-Feuillet, récente révélation du Stabat Mater de Pergolèse à Ambronay. Nous nous sommes à nouveau laissé porter avec délice par cette voix aux couleurs ambrées et chaleureuses, dans une ligne claire et terrestre. A la fois compacte et malléable, le contre-ténor la sculpte avec noblesse pour lui incorporer toute la légèreté nécessaire et la rendre aérienne. Las, sa position de dernier candidat de la journée ne lui a pas porté chance malgré tout notre enthousiasme.

Autre nom qui ne nous était plus inconnu : celui d’Amandine Sanchez. Là aussi, la ligne de chant est très belle, comme un fil fin mais incassable sur lequel elle enchaîne les exercices de funambule. Elle offre un beau contraste de fausse fragilité et de solidité, avec un chant clair et léger, une très belle montée dans les aigües, une jolie pyrotechnie vocale – notamment dans son troisième air, « Un horizon serein » – et un choix de programme assez intelligent qui permet de montrer une belle étendue de ses capacités. Dommage toutefois qu’elle semble manquer de confiance en elle : de même que l’on avait noté le fait qu’elle paraisse « impressionnée » à Ambronay, elle ne semblait à nouveau pas très à l’aise sur scène, fixant un point précis dans la salle sans s’en détourner la plupart du temps. Elle n’a pourtant pas à rougir de ses capacités ni à en douter : malgré son jeune âge, son niveau était tout à fait à la hauteur de celui des autres candidats – si ce n’est au-dessus pour certains.

Nous avons également découvert la soprano suisse Yerin Mira, qui avait la lourde tâche de chanter en première position lors de la demi-finale. Nous avons été charmée par sa voix semblant parvenir du fond du palais, ainsi que ses beaux graves dans lesquels se reflétaient presque des accents de mezzo, ou encore sa capacité à utiliser tout l’espace de ce même palais, sans pour autant perdre l’intensité de sa voix de soprano dans les aigües. Il n’est jamais aisé d’ouvrir le bal, mais elle a su le faire avec brio, malgré peut-être deux attaques perfectibles dans les notes graves, ce qui ne nous a pas empêcher de souhaiter voir son nom parmi les finalistes. De même que celui de Clémence Niclas, autre soprano mais française. La voix est posée, solide, bien ancrée pour une projection nette et puissante qui ne perd pas pour autant son caractère aérien. Elle a fait montre d’une élégante amplitude et d’une belle élasticité de la voix, notamment dans le troisième air (« The Blessed Virgin Expostulation » de Purcell), ainsi que d’une très bonne prononciation dans l’air français « Dieu cruel, ennemi trompeur » (Surprise de l’amour, de Rameau). Quant à la soprano hollandaise Noëlle Drost, elle laisse entendre une jolie puissance vocale dès le premier mot de « Spietati, io vi giurai » (Händel), imposant sans difficulté apparente une voix de soprano solaire et une projection solides qui permettent au chant de ne pas se perdre dans le lieu.

Première mezzo-soprano que nous évoquons, la Française Ariane Le Fournis a su nous conquérir par ses graves particulièrement puissants et profonds qui nous ont fait vérifier sa tessiture. A les entendre, on pourrait s’y méprendre avec ceux d’une contralto ! Ses aigus confirment néanmoins sa tessiture de mezzo, et l’ensemble de sa palette vocale offre de belles nuances. Les trilles qu’elle laisse entendre sont présents sans être trop marqués ni paraître « forcés », et l’ensemble des trois airs dévoile de belles couleurs miroitantes. Là aussi, nous avons été déçue de ne pas la retrouver parmi les finalistes.

Enfin, s'il ne nous est pas possible d’évoquer l’ensemble des 17 candidats entendus ce jour-là, citons tout de même également Thaïs Raï-Westphal, une autre soprano française dont la jolie ligne de chant épurée est solide, nette et claire.

Les lauréats du concours de Froville 2024

Au terme de la demi-finale, six finalistes ont été retenus. Parmi eux, trois sopranos qui n’ont malheureusement pas été récompensées lors de la finale dimanche. Tout d’abord, Maud Bessard-Morandas, déjà entendue à Genève, aux doux accents interprétatifs dans la voix par ailleurs posée et joliment projetée. Ensuite, Lauren Lodge-Campbell, à la voix plus dramatique qui a pourtant offert une belle interprétation et incarnation, tout en douceur et naturel, ainsi qu’un beau vibrato. Enfin, Benedetta Zanotto, dont la voix colorée et les beaux accents ont fort bien servi son interprétation, appuyée également par une excellente prononciation du français dans l’air de la Médée de Charpentier « Quel prix de mon amour » (rôle habituellement tenu par une mezzo-soprano).

De son côté, bien que n’ayant pas été retenue parmi les finalistes, Amandine Sanchez – évoquée ci-dessus – a tout de même obtenu le Prix « Château de Lunéville – Meilleur espoir » provenant du Département de Meurthe-et-Moselle (et dont la dotation s’élève à 2 000 euros).

Le premier prix (d’une valeur de 4 000 euros), quant à lui, a été remis à la mezzo-soprano croate Lucija Varsic, qui a également reçu le Prix du public (de 500 euros). Lors de la demi-finale, nous avions relevé une très bonne prononciation lors de son air en français, et globalement un beau chant.

Le deuxième prix (de 2 500 euros) et le prix I Gemelli (représentant l’enregistrement d’un EP numérique de trois à cinq titres avec l’ensemble) ont été décernés au contre-ténor français Arnaud Gluck dont nous avions noté le nom lors de la demi-finale, avec une belle présence scénique et un aspect angélique (physiquement mais surtout vocalement). Capable de très beaux mediums et d’un bon souffle, il proposait également de magnifiques graves sans « cassure » avec le reste de sa tonalité comme on l’entend parfois chez les contres-ténors. Ici, tout est fluide et plaisant à entendre.

Enfin, la mezzo-soprano Lorrie Garcia a remporté le troisième prix (d’une valeur de 1 000 euros) ainsi que le prix Génération Opéra (d’un même montant). C’est avec plaisir que nous la retrouvions jeudi dernier dans une acoustique et des circonstances plus propices que celles dans lesquelles nous l’avions entendue quelques jours plus tôt. La projection est belle, maîtrisée, laissant entendre une voix de mezzo solaire tendant vers des reflets d’or et d’argent dans les graves – fort bien ciselés par ailleurs – et allant jusqu’à l’outre-tombe dans le troisième extrait présenté. La théâtralité que nous avions relevée était toujours plaisante et savoureuse, avec une présence, une élégance et une incarnation notables. Enfin, la voix accueillait de belles couleurs émotives qui se mêlaient à l’expression du corps déjà soulignée ainsi qu’à une excellente prononciation. Difficile de ne pas espérer la voir prochainement dans le sacro-saint rôle de mezzo-soprano qu’est Carmen !

 

Ainsi, après avoir entendu tant de jeunes interprètes si talentueux, on ne peut que se réjouir pour l’avenir du chant baroque en France et s’impatienter de retrouver ces jeunes artistes sur scène, tant pour les lauréats que pour nombre de candidats qui n’ont pas pu s’exprimer lors de la finale.

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