Après une Tosca à Vienne en octobre dernier, le ténor polonais Piotr Beczała vient de reprendre de nouveau le rôle de Mario Cavaradossi à l'Ópera de Las Palmas sur l’île des Grandes Canaries, avec Erika Grimaldi en Tosca et Gorge Gagnidze en Scarpia. Il répond à nos questions sur sa vision de la production, sur son répertoire et ses futurs projets ou encore sur son approche à venir des rôles wagnériens.
Piotr Beczała, après les représentations de Tosca au Staatsoper de Vienne en octobre, vous arrivez dans les îles Canaries, à Gran Canaria. Les Amigos Canarios de la Ópera (ACO) sont une compagnie d’opéra très dynamique qui organise cette année déjà sa « 57e Temporada » avec l'Ópera de Las Palmas de Gran Canaria. Pour autant, Gran Canaria reste un peu en marge du cœur d’activité de l’opéra européen. Comment appréhendez-vous ces représentations ici sur l’île ? Y avez-vous une approche différente, par rapport aux représentations d’Europe du Nord ou aux États-Unis ?
Piotr Beczała : Cette production et ma participation étaient prévues de très longue date. Je suis ami depuis très longtemps avec le directeur artistique Ulises Jaén et sa femme Isabel Rey, et nous avons finalement pu organiser ces représentations. Las Palmas est certes loin des scènes mondiales, mais le lieu a une grande tradition d'opéra. Après mon récital ici il y a quelques années et maintenant ces trois représentations de Tosca, j'ai le sentiment que nous avons rendu beaucoup de spectateurs heureux avec ces représentations. (Note du rédacteur : Je ne peux que le confirmer !)
Las Palmas de Gran Canaria est la ville du grand Alfredo Kraus, qui s'est souvent produit à l'Opéra d'État de Vienne, notamment dans le rôle-titre de Werther. Quelle est votre relation avec ce grand ténor, et représente-t-il quelque-chose de spécial pour vous et votre travail artistique, peut-être plus spécifiquement ici sur l'île ?
Piotr Beczała : Je suis très attaché à l'histoire et j'ai le plus grand grand respect pour les chanteurs de l'époque. Alfredo Kraus fait partie des plus grands ! En tant que ténor, on peut beaucoup apprendre de son parcours, de son intelligence dans le choix des rôles et de sa manière d’aborder ce métier difficile. Il est un véritable héros ici à Gran Canaria. Son exemple va à l'encontre de l’adage voulant que « nul n'est prophète en son pays » !
Avec la production viennoise de Tosca et cette nouvelle mise en scène de l'opéra à Las Palmas signée par Daniele Piscopo, vous avez participé à deux productions très classiques, très immanentes de l'œuvre. Dans l’éventualité où le cas se produirait, comment aborderiez-vous une production de Regietheater de Tosca ou de tout autre opéra vériste ? Quelle est votre sentiment à propos du « théâtre de metteur en scène » qui prend parfois des libertés avec l’œuvre originale ?
Piotr Beczała : Il s’agissait de très belles représentations, très gratifiantes. Les productions de Vienne et Las Palmas partagent une conception commune traditionnelle de Tosca. Les deux productions sont basées principalement sur la performance musicale et théâtrale des interprètes, sur des costumes et des décors magnifiques – que demander de plus ?
Il est bien sûr possible d'actualiser cet opéra, mais si ça répond à un besoin réel... en aucun cas pour le dénaturer. Moderniser ne signifie pas forcément de le raconter différemment, de mettre les chanteurs dans une situation inconfortable ou peu valorisante. Personnellement, j'aime les productions traditionnelles, mais je n'ai aucun problème si je dois chanter dans une représentation moderne intelligente, dès lors que l'équipe de production respecte l'histoire du compositeur et du librettiste.
Tosca à l'Ópera de Las Palmas © Nacho González ACO
Vous êtes Polonais, et vous chantez des opéras italiens, français, slaves ou allemands, tous dans leur langue respective. Dans quelle langue préférez-vous chanter, et peut-on également savoir si vous avez un compositeur préféré ?
Piotr Beczała : Mon répertoire est en effet très varié, toutes ces langues sont différentes, et je n'ai pas de langue ou d'opéra préféré... J'essaie de m'adapter à chaque style pour rester authentique, qu'il s'agisse de Verdi, Puccini, Massenet ou Stanisław Moniuszko, mais je ne chante que des opéras que j'aime. C'est un petit privilège que je tire de ma position, acquise au fil du temps dans le monde de l'opéra.
Après avoir connu le succès dans de grandes maisons, notamment avec Lohengrin, comment appréhendez-vous le compositeur Richard Wagner par rapport aux compositeurs du répertoire italien et français ? Qu’en est-il en termes de technique vocale et de défis vocaux.
Piotr Beczała : Aujourd’hui, j'apprécie aussi Wagner, du moins si l'on considère Lohengrin. En fait, ce rôle est écrit de façon très « italienne », ce qui me permet de tirer pleinement parti de mon expérience. Pour autant, le rôle est écrit en allemand, et il faut se confronter à la langue. Les consonnes sont importantes, et le bon équilibre entre soutien et projection est essentiel.
Pouvez-vous nous parler de vos projets à venir et de vos prochains de rôles ? Parsifal pourrait-il trouver une place dans votre répertoire, ou savez-vous déjà quand vous ferez vos débuts dans le rôle ?
Piotr Beczała : Je doute fortement de continuer à élargir mon répertoire wagnérien. Certes, des rôles comme Parsifal, Walter von Stolzing ou Siegmund seraient souhaités par de nombreux programmateurs de maisons d’opéra ou chefs d'orchestre, mais pour maintenir un juste équilibre, il faut être prudent. En 2023, j'ai chanté 21 représentations de Lohengrin. Si j'ajoutais encore d'autres rôles wagnériens, il pourrait très vite ne plus y avoir de place pour des opéras, des concerts ou des récitals italiens, français ou slaves... et je ne le souhaite pas.
Selon vous, qui êtes l’un des plus grands chanteurs au monde actuellement, quels sont les composantes importantes pour l’avenir de l’art lyrique ?
Piotr Beczała : Je ne m'inquiéterais pas tant pour l'avenir de l'opéra – pour peu que l’on ait de bons chanteurs, je crois que tout ira vraiment bien. Je vois beaucoup de jeunes chanteurs formidables qui viennent de commencer leur carrière avec une grande ouverture d’esprit, un enthousiasme et beaucoup de talent. Il faut croiser les doigts pour qu'ils aient la chance de développer leur talent et satisfaire le public !
Un grand merci à Piotr Beczała pour cet entretien ! Entre autres engagements à venir, Piotr Beczała doit notamment reprendre le rôle de Don José dans Carmen à la Royal Opera House de Londres en avril, puis le rôle-titre du Faust de Gounod au Wiener Staatsoper en mai, suivi d’une série de récitals, notamment le 8 juin au Konzerthaus de Vienne, avant de se produire dans Le Pays du sourire de Franz Lehár à Zurich à partir du 21 juin 2024.
Interview réalisée en allemand par échange d'e-mails par Klaus Billand
03 mars 2024 | Imprimer
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