« Alors que la précédente saison de la Monnaie faisait la part belle aux forces invisibles qui semblent prédéterminer le cours de nos vies, la programmation de la saison 2024-25 laisse avant tout filtrer l’espoir – l’espoir d’avoir la liberté, le sens des responsabilités et une influence déterminante sur notre société ».
Le dossier de presse du Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles ajoute : « Dans un monde ravagé par les incendies et la fonte des glaces, l’art peut faire la différence en recourant au possibilisme actif pour contrer la consommation passive ». C’est ainsi que le maître-mot de cette prochaine saison sera « Dare », qui signifie « osez ». Une « invitation à participer : faire du théâtre, c’est avoir l’audace de s’attaquer à des tabous ; vivre la culture, c’est oser infléchir sa propre vision du monde ».
« Osez rêver » deux créations mondiales
Pour décembre, La Monnaie prévoit une création mondiale, Fanny and Alexander, basée sur Fanny och Alexander, le « magnum opus semi-autobiographique d’Ingmar Bergman », qui raconte la vie des deux personnages-titres aux premières heures du XXe siècle en Suède. Leur enfance idyllique va d’abord être brusquement bouleversée par la mort de leur père, puis par le remariage de leur mère à un évêque au comportement abusif. Avec cette commande, dont la composition est signée par Mikael Karlsson et le livret par Royce Vavrek, l’Opéra invite à « oser rêver » et devrait offrir une belle adaptation à ce chef d’œuvre d’Ingmar Bergman. Une équipe artistique qui a déjà fait ses preuves avec la création mondiale, couronnée de succès, de leur opéra Melancholia adapté du film éponyme de Lars von Trier à Stockholm cette saison.
Rappelons que Fanny och Alexander existe déjà en deux versions : une première de 188 minutes sortie au cinéma et ayant remporté quatre Oscars en 1983, dont celui du Meilleur film international, ainsi qu’une seconde de 312 minutes, d’abord diffusée à la télévision avant d’arriver ensuite dans les salles obscures. Celle-ci, « la définitive aux yeux du réalisateur, compte encore aujourd’hui parmi les plus longs films de l’histoire du cinéma ».
La mise en scène sera signée par Ivo van Hove tandis que la direction musicale sera confiée à Ariane Matiakh qui fera ainsi ses débuts à La Monnaie. Quant à la distribution, elle s’avère particulièrement attrayante : Anne Sofie von Otter, Thomas Hampson – pour son premier opéra in loco après plusieurs récitals lors de saisons passés –, Doris Soffel – de retour après 10 ans d’absence –, ou encore Loa Falkman, Peter Tantsits et Sasha Cooke qui feront tous trois leurs débuts à La Monnaie.
En avril, La Monnaie proposera une deuxième création mondiale, celle de Bovary, « un opéra de chambre orchestré par le compositeur belge Harold Noben, basé sur la pièce éponyme de Carme Portaceli et Michael De Cock, qui réaffirment leur maîtrise dans la mise en scène inspirée du célèbre roman Madame Bovary de Gustave Flaubert ». Cette création marquera la troisième collaboration entre la maison et le compositeur, à qui elle avait déjà commandé l’opéra de chambre À l’extrême bord du monde et la pièce Beyond pour célébrer le 250e anniversaire de son orchestre symphonique. Debora Waldman fera ses premiers pas dans la fosse du théâtre, tandis que la mise en scène sera confiée à Carme Portaceli et Michael De Cock – qui signe l’adaptation de la pièce en livret. Dans le rôle-titre, le public retrouvera la soprano belgo-albanaise Ana Naqe aux côtés d’Oleg Volkov (Charles Bovary).
La suite du Ring
Comme évoqué récemment dans nos colonnes, la suite du Ring de Wagner débuté cette saison aura bien lieu, mais sera confiée à une autre équipe artistique – tout en conservant les distributions prévues. C’est donc le metteur en scène Pierre Audi qui s’attaquera aux deux derniers volets du Ring, aux côtés d’Alain Altinoglu qui, lui, demeure présent après avoir dirigé les deux premiers volets. Côté distribution, « la Monnaie a délibérément choisi, dans la mesure du possible, de confier l’interprétation de chaque personnage récurent aux mêmes chanteurs et chanteuses tout au long du cycle, afin que le public puisse retrouver les mêmes voix dans les quatre parties ».
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D’abord, Siegfried ouvrira la saison avec Peter Hoare qui poursuivra donc son interprétation de Mime, Gábor Bretz dans celle de Wotan, ou bien Wilhelm Schwinghammer dans le rôle de Fafner. La distribution comprendra également Scott Hendricks ou encore Ingela Brimberg. Le Crépuscule des dieux, ensuite, clôturera le cycle et « sera marquée par la participation des Chœurs de la Monnaie, dirigés par Emmanuel Trenque, qui a rejoint (la) maison d’opéra la saison dernière ». De nombreux interprètes du Ring de la Monnaie feront également leur retour dans la distribution de Götterdämmerung : Scott Hendricks incarnera Alberich pour la troisième fois, Nora Gubisch – qui a chanté Erda dans Das Rheingold et Siegfried – sera Waltraute, sœur de Brünnhilde, interprétée par Ingela Brimberg. Andrew Foster-Williams fera son retour pour incarner Gunther, Bryan Register sera Siegfried, tandis qu’Anett Fritsch rejoindra la distribution dans le rôle de Gutrune.
Mais encore...
En octobre, La Monnaie reprendra The Time of Our Singing, créé dans ses murs en septembre 2021, « captivant et instructif » ainsi que nous en rendions compte. L’œuvre traite des « droits civiques et de la ségrégation raciale aux États-Unis sur fond de relativité du temps au moyen d’une chronique familiale » et s’avère particulièrement prenante et réussie. La production avait d’ailleurs été sacrée « Meilleure création mondiale de l’année » aux International Opera Awards 2022. Cette reprise de la mise en scène de Ted Huffman marque également le retour de Kwamé Ryan qui avait dirigé sa création. La distribution originale de l’opéra reste elle aussi inchangée pour cette reprise : Claron McFadden, Mark S. Doss, Simon Bailey ou encore Levy Sekgapane.
Outre cette reprise ayant marqué les esprits, le théâtre poursuit son projet de créations mélangeant plusieurs œuvres du répertoire lyrique : après Bastarda en 2023 et Rivoluzione e Nostalgia en 2024, La Monnaie explorera en deux soirées l’univers musical de Claudio Monteverdi sous la baguette experte de Leonardo Garcia Alarcón et dans une mise en scène imaginée par Rafael R. Villalobos. Grâce à I Grotteschi, « nous nous plongerons non seulement dans les trois seuls de ses opéras qui nous sont parvenus, mais aussi dans des extraits de ses madrigaux qui ont contribué à révolutionner la musique du début du XVIIe siècle ». Giulia Semenzato Andrea Mastroni et Arianna Vendittelli feront leurs débuts ici aux côtés de Raffaella Lupinacci, Mark Milhofer, Jeremy Ovenden ou encore Stéphanie d’Oustrac.
Nous retrouverons d’ailleurs cette dernière dans la reprise de la Carmen imaginée par Dmitri Tcherniakov pour le festival d’Aix-en-Provence 2017 – et dont nous rendions compte alors. Si la mezzo-soprano française tenait déjà le rôle-titre à l’époque, elle le partagera toutefois ici avec Eve-Maud Hubeaux et retrouvera face à elle Michael Fabiano, en alternance avec Attilio Glaser. Le rôle de Micaëla sera pour sa part tenu par Anne-Catherine Gillet, et l'ensemble sera dirigé par Nathalie Stutzmann.
Enfin, citons un rendez-vous familial avec un opéra contemporain, inspiré d’un conte des frères Grimm : Goud !/Le garçon et le poisson magique de Leonard Evers. Dans cette fable, « Jacob vit avec ses parents au bord de la mer, sous un vieil arbre. Ils sont pauvres, mais heureux. Un jour, Jacob pêche un étrange poisson, dont s’élève soudain la voix : "Laisse-moi vivre, et je te donnerai tout ce que tu voudras !" Les parents de Jacob savent, eux, quoi demander : une couverture, un lit, une maison... Pourtant, une fois leurs souhaits exaucés, ils ne sont pas plus heureux, et renvoient Jacob auprès du poisson avec de nouvelles exigences. Cependant, à chaque visite, le poisson semble plus faible. La mer, de plus en plus agitée, finit par tout emporter ».
Un cycle de concerts « très diversifié » viendra compléter cette programmation, avec Histoire du soldat, la Petite Messe solennelle de Rossini, ou encore un Requiem de Verdi dont la distribution est particulièrement attrayante avec Lianna Haroutounian, Marie-Nicole Lemieux, Enea Scala et Michele Pertusi.
Avec cette saison 2024-2025, La Monnaie ose et nous invite à faire de même. Quand l’invitation est si charmante, difficile de résister…
24 avril 2024 | Imprimer
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