Après une cinquantaine de représentations lors de sa création, Le Tribut de Zamora, l’ultime opéra de Charles Gounod, disparaissait des scènes lyriques. L’Opéra de Saint-Etienne et le Palazzetto Bru Zan ressuscitent l’ouvrage. Aperçu d’une œuvre rare et de sa recréation.
On connait l’adage : 3000 opéras auraient été composés, 300 montés sur scène, seulement 30 sont donnés régulièrement. Evidemment, la formule n’est plus tout à fait juste aujourd’hui, à l’heure où les maisons d’opéra sont bien plus enclines à commander de nouvelles œuvres aux compositeurs d’aujourd’hui et où les compagnies et maisons d’opéra s’attellent à ressusciter, à faire vivre et même revivre un répertoire parfois oublié. C’est notamment la mission que s’est fixée le Palazzetto Bru Zan qui s’associe actuellement à l’Opéra de Saint-Etienne pour proposer une version scénique du dernier opéra de Charles Gounod, le rare Le Tribut de Zamora, à l’affiche ces 3 et 5 mai 2024. Une œuvre disparue des scènes lyriques pendant plus d’un siècle, ressuscitée par le Palazzetto Bru Zan en version de concert en 2018 et qui fait donc maintenant l’objet d’une production mise en scène à Saint-Etienne. Presque une recréation.
Il faut dire que malgré un certain succès auprès du public de l’époque (plus d’une cinquantaine de représentations ont été données en deux saisons à l’Opéra de Paris dans la foulée de la création en avril 1881, défendues par la grande cantatrice Gabrielle Krauss), Le Tribut de Zamora a subi les foudres d’une critique plutôt sévère, le jugeant pudiquement « l’opéra le plus faible » du répertoire de Gounod – l’ouvrage compte pourtant quelques belles envolées (la Danse espagnole par exemple) et un lyrisme propre au compositeur (les retrouvailles entre Hermosa et Xaïma). Peut-être, les attentes de la critique à l’égard du compositeur étaient-elles un peu trop élevées après son Faust ou Roméo et Juliette, mais Gounod ne signera plus d’autres opéras après ce Tribut de Zamora.
Une production remise au goût du jour
À l’époque, le public avait manifestement été séduit par un orientalisme très en vogue au XIXe siècle – mais qui parait sérieusement daté aujourd’hui. Le livret du Tribut de Zamora, qui aurait été proposé à Verdi et qui l’aurait refusé, situe l’action en Espagne, dans le califat de Cordoue au IXe siècle. Après une victoire des troupes du calife, le traité signé à Zamora impose à la cité d’Oviedo de remettre cent vierges aux vainqueurs (le fameux « tribut de Zamora »). Parmi elle, la belle Xaïma dont la beauté séduit Ben-Saïd, le représentant du calife, alors qu’elle devait épouser le jeune Manoël. Manoël et Xaïma parviendront-ils à se retrouver malgré les termes du traité et les avances de Ben-Saïd ? On ne déflorera pas ici le dénouement de l’histoire des deux amants (le lecteur curieux pourra consulter le résumé intégral du livret dans notre « Encyclopéra »), mais l’ouvrage promet moult rebondissements pour tenir le spectateur en haleine sur quatre actes.
Pour redonner un peu de modernité au livret, Gilles Rico, le metteur en scène de la production stéphanoise, fait le choix de déplacer l’action pour mieux se concentrer sur sa thématique : l’émancipation et la libération de Xaïma. La production se déroule ainsi à l’époque de la création de l’ouvrage (en 1881) alors que l’héroïne a subi les affres de la guerre de 1870 et en est traumatisée. Xaïma est internée dans l’hôpital de la Salpêtrière et souffre d’hallucinations inspirées du Tribut de Zamora. Elle intègre progressivement des éléments du rêve du IXe siècle à sa propre vie de la fin du XIXe, tantôt comme spectatrice des événements, tantôt comme actrice, jusqu’à ce que cette « thérapie » (qui fait écho aux travaux du professeur Charcot à la Salpêtrière) la libère de ses traumas hérités des années précédentes.
Une approche de mise en scène manifestement habile, qui sera défendue sur scène par une distribution réunissant de jeunes interprètes prometteurs, Chloé Jacob et Léo Vermot-Desroches dans les rôles des jeunes amants Xaïma et Manoël, aux côtés notamment d’un habitué des planches de Saint-Etienne, le baryton Jérôme Boutillier dans le rôle de Ben-Saïd, ou encore Elodie Hache pour interpréter la mère de Xaïma. Le chef d’orchestre Hervé Niquet, qui avait assuré la direction de la redécouverte de l’œuvre en version de concert, reprend ici la baguette pour diriger la production stéphanoise. De quoi être tenté de (re)découvrir l’ultime opéra de Gounod ?
publié le 2 mai 2024 à 9h30 par Aurelien Pfeffer
02 mai 2024 | Imprimer
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