Le Festival d’Aix-en-Provence tient sa 75ᵉ édition du 4 au 24 juillet 2023 : l’événement lyrique promet une programmation novatrice concoctée par Pierre Audi et dont le fil rouge est la « manipulation », réunissant six nouvelles productions dont une création mondiale, trois opéras en version de concert et toujours des distributions alléchantes.
De nouvelles productions d’opéra
Comme pour donner le ton de cette 75e édition, le Festival d’Aix-en-Provence 2023 s’ouvre avec une nouvelle production singulière de l’Opéra de Quat’sous : le Festival retient la version originelle de l’ouvrage de Bertolt Brecht et Kurt Weill, la version inédite de 1928 « plus resserrée et d’esprit plus anarchiste que celle sous laquelle il s’est fait connaître au cinéma en 1931 » qui inclut des chansons inédites. Pour l’occasion, une nouvelle traduction en français a été commandée à Alexandre Pateau (elle fera l’objet d’une publication chez L’Arche éditeur). La mise en scène est confiée Thomas Ostermeier (sa première mise en scène lyrique), portée par les acteurs / chanteurs de la troupe de la Comédie-Française, et accompagnée musicalement par le chef Maxime Pascal à la tête de son ensemble Le Balcon.
Evidemment, le Festival d’Aix-en-Provence ne s’envisage pas sans Mozart. Cette 75e édition programme Così fan tutte, revenant ainsi à ses origine : c’est l’opéra mozartien qui avait été donné lors de la première édition du Festival en 1949 dans la cour de l’Archevêché. L’ouvrage est donné ici dans la nouvelle production de Dmitri Tcherniakov initialement prévue en 2020 mais empêchée par la pandémie de Covid-19 : le metteur en scène « déplace le curseur des âges de la vie » et imagine les relations de deux couples matures. La distribution est l’avenant. En lieu et place de jeunes premiers qui endossent habituellement les rôles principaux, ils sont ici confiés à des artistes à la carrière déjà longue : Claudia Mahnke (Dorabella), Agneta Eichenholz (Fiordiligi), Russell Braun (Guglielmo) et Rainer Trost (Ferrando), qui font leur début à Aix, aux côtés de Georg Nigl en Alfonso et Nicole Chevalier en Despina, accompagnés par Thomas Hengelbrock en fosse – deux ans après avoir déjà dirigé les Noces de Figaro du Festival.
Tout comme Così fan tutte, le Festival 2023 reprogramme aussi la nouvelle production de Wozzeck qui aurait dû être donnée en 2020, dont la mise en scène est confiée à Simon McBurney – un habitué d’Aix après sa Flûte enchantée en 2014 et The Rake’s Progress en 2017. Très sombre, la mise en scène prend l’ouvrage à rebours de la chronologie du livret : elle s’ouvre sur la noyade finale du protagoniste, qui voit alors défiler sa vie et les événements précédents. Sir Simon Rattle est en fosse à la tête du London Symphony Orchestra et sur scène, Christian Gerhaher endosse le rôle-titre aux côtés de Malin Byström en Marie.
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Dont deux créations
C’est une tradition, le Festival d’Aix-en-Provence renouvelle régulièrement son répertoire avec des créations. On en trouve deux dans cette 75e édition : la création mondiale de Picture a day like this par George Benjamin et Martin Crimp (l’ouvrage suscite une forte curiosité après le triomphe de Written on Skin en 2012) et la création française de The Faggots and Their Friends Between Revolutions, troisième collaboration lyrique entre le compositeur Philip Venables et le librettiste et metteur en scène Ted Huffman.
Œuvre de « petit format » (environ une heure), Picture a day like this puise son inspiration dans « divers récits populaires, partagés par plusieurs cultures » : l’histoire circonscrit un jour dans la vie d’une femme (le rôle sera créé par Marianne Crebassa), qui perd son enfant. Le drame pourra néanmoins être aboli si elle parvient à rencontrer quelqu’un qui puisse témoigner d’un véritable bonheur. L’ouvrage s’articule « alors autour d’une ronde de rencontres, un peu à la façon d’une Alice adulte errant au pays des merveilles : sept personnages auraient tour à tour toutes les raisons d’être heureux, mais n’y parviennent pas. La dernière rencontre aura lieu dans un jardin enchanté : Zabelle est-elle heureuse ? » (le rôle de Zabelle est interprétée par Anna Prohaska). À Aix, George Benjamin dirigera son opéra, quand les rôles secondaires seront tenus par Cameron Shahbazi, Fatma Said et John Brancy (qui font leur début au Festival), dans une mise en scène de Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma.
The Faggots and Their Friends Between Revolutions est donné à Aix en juillet 2023 après une création mondiale prévue à Manchester en juin. Sous la direction musicale de la pianiste et cheffe Yshani Perinpanayagam, l’opéra poursuit « l’étude de la psyché humaine sous contrainte » déjà initiée par Philip Venables et Ted Huffman dans leurs précédents ouvrages. L’œuvre s’inspire ici des récits de l’auteur américain Larry Mitchell de ses séjours en communauté gay, relatés dans son livre (1977) qui donne son titre à l’opéra. Présenté comme un « opéra barockqueer », l’ouvrage s’inscrit à la croisée des genres entre opéra, ballet, théâtre musical, revue et cabaret, articulés autour de textes brefs et « tente de définir un horizon utopique, à la fois révolutionnaire et poétique, celui d’un idéal communautaire coloré et joyeux, aussi rock que baroque ».
Et des opéras en version de concert
Pour faire bonne mesure, le Festival d’Aix-en-Provence 2023 ajoute à sa programmation trois opéras en version de concert (Le Prophète de Meyerbeer, Otello de Verdi et Lucie de Lammermoor de Donizetti) mais y appose sa marque et y voit surtout l’occasion de réunir des distributions impressionnantes.
Le Prophète, symbole du « grand opéra » français qui impose des moyens démesurés, des chœurs et une distribution pléthorique, n’avait encore jamais été programmé à Aix. Pour rendre justice à cette première de l’opéra de Meyerbeer, le Festival convoque le London Symphony Orchestra, des instrumentistes issus de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée pour la banda, le Choeur de l’Opéra de Lyon et la Maîtrise des Bouches-du-Rhône, tous placés sous la direction de Sir Mark Elder. Et sur scène, l’ouvrage sera défendu par John Osborn, Anita Rachvelishvili, Mané Galoyan, James Platt, Edwin Crossley-Mercer, Guilhem Worms ou encore Valerio Contaldo.
Si Otello requiert des effectifs un peu moins nombreux, l’ouvrage nécessite des moyens vocaux tout aussi solides, confiés ici à une distribution qui attirera le public au Grand Théâtre de Provence : Jonas Kaufmann dans le rôle-titre (pour ses débuts à Aix), aux côté de la Desdemone de Maria Agresta et de l’infâme Iago de Ludovic Tézier (de retour au Festival après douze ans d’absence). Au pupitre, Michele Mariotti prendra la tête de l’Orchestre du Teatro di San Carlo, coproducteur du spectacle.
Enfin, la 75e édition du Festival d’Aix propose une curiosité : Lucie de Lammermoor. On connait évidemment la version italienne de la Lucia di Lammermoor de Donizetti sur le livret de Salvatore Cammarano, mais c’est la version française de l'opéra qui est proposée ici, dont le livret d’Alphone Royer et Gustave Vaëz remanie sensiblement l’ouvrage. Dans cette version créée au Théâtre de la Renaissance en 1839, le rôle d’Alisa disparait (Lucie est le seul personnage féminin de l’ouvrage) et celui du traître (ici, Gilbert) est étoffé, de sorte « d’isoler Lucie dans un piège sans issue, plus cruellement encore que dans Lucia ». La distribution réunit Lisette Oropesa qui fera sa prise de rôle en Lucie (après avoir triomphée sur de nombreuses scènes en Lucia) aux côtés notamment de Pene Pati, Florian Sempey, Nicolas Courjal, Yu Shao et Sahy Ratia.
Asmik Grigorian, Christian Gerhaher et Pretty Yende en récitals
En plus de plusieurs concerts, le Festival d’Aix-en-Provence 2023 promet aussi des récitals – là encore invitant à (re)découvrir quelques-unes des plus belles voix de l’époque. D’abord, la Lituanienne Asmik Grigorian fera ses débuts au Festival dans un programme russe (les romances de Tchaïkovski et de Rachmaninov), accompagnée par Lukas Geniusas. Puis, Christian Gerhaher dans un récital de lieder de Schumann avec Gerold Huber, que les deux artistes ont enregistré au disque, invitant à redécouvrir plusieurs cycles méconnus du compositeur. Enfin Pretty Yende (accompagnée par l’Espagnole Vanessa Garcia Diepa) dans un répertoire de mélodies qu’elle affectionne : canzoni italiennes de Rossini, Bellini ou Donizetti, aux côtés d’air de Debussy ou de Gerónimo Giménez.
Le Festival d’Aix-en-Provence dévoile un programme particulièrement riche et attractif, comme autant de « propositions qui renouvellent les approches et le répertoire, élargissent les contours de l’opéra, dialoguent avec les autres arts et modifient le rapport entre les œuvres, les publics et les lieux » (selon Pierre Audi).
La programmation complète du Festival se dévoile sur le site de la manifestation, à cette adresse. La billetterie est ouverte depuis le 25 janvier 2023 pour les abonnés, puis le 1er février pour le grand public.
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