Au lendemain de la Salomé de Mariotte, c'est autre titre rare - sinon inconnu - qui est donné sur la scène du splendide O'Reilly Theater : Don Bucefalo d'Antonio Cagnoni. Ce compositeur italien, né en 1828 à Godiasco et mort à Bergame en 1896, fut l'un de ces nombreux musiciens qui vécurent dans l'ombre de Verdi, en remportant de jolis succès sur les scènes de la Péninsule, voire dans le reste de l'Europe. Parmi ses créations : Michele Perrin (Milan, 1864), Papà Martin (Gênes, 1871), Francesca da Rimini (Turin, 1878), sans oublier, en 1868, la Messa per Rossini, dont il écrivit le Quid sum miser (Verdi se réservant, comme on le sait, le Libera me).
Don Bucefalo, melodramma giocoso en trois actes, sur un livret de Calisto Basi, est son premier succès, composé en 1847 pour son examen de fin d'études au Conservatoire de Milan. Succès tellement triomphal que Cagnoni fut aussitôt considéré comme un astre émergent promis au plus bel avenir, son essai de jeunesse se maintenant au répertoire pendant plusieurs décennies, grâce notamment à l'interprétation d'Alessandro Bottero dans le rôle-titre, l'une des plus fameuses basses bouffes de l'époque. Evidemment tributaire de la grande tradition de l'Opera buffa, en particulier rossinien (Il barbiere di Siviglia), et donizettien (Don Pasquale), Don Bucefalo réunit les meilleurs ingrédients du genre, à commencer par la savante manipulation des rythmes et des tournures vocales. L'inspiration mélodique est aussi heureuse que spontanée, l'instrumentation d'une grande habileté, l'écriture pour les voix à la fois brillante et virtuose, dans une filiation explicitement belcantiste. On retient notamment l'hilarante leçon de chant donnée à ses élèves au premier acte, et le trait de génie constitué par la scène où les musiciens s'accordent avant la fausse représentation de l'Ezio métastasien.
En équipe avec la scénographe Victoria Tzykun et la costumière Jessica Jahn, Kevin Newbury a parfaitement restitué le comique propre à ce type d'ouvrage et su mettre en exergue l'humanité des situations vécues par les protagonistes. Il a déplacé l'action dans un salle communale de la fin du siècle dernier, où les jeunes du village ont pour habitude de se rencontrer, pour s'adonner à diverses activités culturelles ou sportives. L'arrivée de Don Bucefalo galvanise tout ce petit monde en affûtant leur esprit de compétition et en aiguisant leur appétit de devenir célèbre, ce qui fait se succéder des scènes de rivalité aussi cocasses que drolatiques jusqu'à la liesse finale.
A la tête d'un brillant Orchestre du Festival de Wexford, le chef espagnol Sergio Alapont exalte l'élégance et la fraîcheur de l'écriture de Cagnoni. Le buffo Filippo Fontana est un parfait Don Bucefalo, qui maîtrise avec éclat l'art du chant silabatto. Marie-Eve Munger, dotée de belles qualités de timbre, d'émission et de diction, donne un juste relief au personnage de Rosa. Dans le rôle du Conte di belprato, l'américain Matthew Newlin est un ténor au chant expressif et bien éduqué, tandis que le baryton italien Davide Bartolucci confère à Don Marco d'irrésistibles dons d'acteurs (et une voix qui ne demande qu'à progresser). La soprano irlandaise Jennifer Davis possède la fraîcheur qu'on attend d'une soubrette, tandis que le ténor Peter Davoren et la mezzo Kezia Bienek complètent correctement la distribution. Enfin, excellent s'avère le Chœur du Festival de Wexford, qui a été récompensé – avec l'ensemble de l'équipe artistique – par une standing ovation au moment des saluts.
Bref, vivement l'édition 2015 qui mettra à l'affiche Le Pré aux clercs de Louis-Ferdinand Hérold, Guglielmo Rattcliff de Pietro Mascagni et Koanga de Frederick Delius !
Don Bucefalo au Festival de Wexford, jusqu'au 1er novembre 2014
Crédit photographique © Clive Barda
26 octobre 2014 | Imprimer
Commentaires