Les Troyens de Berlioz triomphent à La Scala

Xl_les_t © Brescia / Amisano - Teatro alla Scala

Le Teatro alla Scala de Milan avait été un des premiers théâtres à assumer la lourde tâche de monter Les Troyens, à une époque où régnait la plus parfaite indifférence pour l'œuvre de Berlioz. Dans une édition en langue italienne qui a fait date, Giulietta Simionato et Mario Del Monaco ont su restituer aux rôles principaux toute leur dimension, grâce également à la présence au pupitre de Rafael Kubelik. Laissant aux anglais le soin d'imposer la version originale, quelques années plus tard, avec des interprètes autrement formés au style français, c'est justement du Royal Opera House de Londres que provient cette production des Troyens, signée par David McVicar, qui continuera ensuite sa route vers le San Francisco Opera et la Staatsoper de Vienne, maisons coproductrices.

Le metteur en scène écossais a imaginé un spectacle certes fastueux mais qui n'est ni complexe, ni très fouillé, la tranposition à l'époque du livret étant dénuée de réelles motivations dramaturgiques. Simple spectacle de décorateur donc, avec quelques superbes images il est vrai, telle la gigantesque tête de cheval articulée - et composée de pièces métalliques d'origine guerrière - qui s'avance jusqu'au dessus de la fosse d'orchestre, à la fin du I, d'un effet absolument saississant. A côté de ça, les ballets frisent souvent le ridicule, les costumes ne brillent pas d'avantage par leur unité et, surtout, les chanteurs ne sont pas dirigés.

On ne peut en revanche qu'applaudir la direction de Sir Antonio Pappano – qui fait ses débuts scaligères –, nerveuse et racée, toujours attentive à l'équilibre sonore. Il manie les masses chorales avec un sens confondant du souffle dramatique et bâtit une fresque d'une bouleversante grandeur tragique. En rendant à l'orchestre son rôle de commentateur priviligié, le chef anglais atteint à cet idéal d'« art total » où musique, chant et texte forment un tout indivisible.

C'est ainsi dans un véritable écrin sonore qu'évoluent chœurs et solistes. Les premiers – magnifique Coro della Scala – brillent par leur clarté et un sens très aiguisé des nuances dynamiques. Les Seconds composent une distribution en grande partie exaltante, à commencer par l’incandescente Cassandre d'Anna Caterina Antonacci. Après avoir triomphé dans le rôle un peu partout en Europe, la soprano italienne renouvelle l’exploit d’incarner une Cassandre proche de la perfection. Au delà de la performance théâtrale proprement inouïe de la chanteuse, c’est la beauté intrinsèque du timbre et ses infinies couleurs, la musicalité omniprésente du chant malgré sa véhémence - et surtout une diction de notre langue et une façon de ciseler le mot proprement magistrales - qui subjuguent et laissent pantois.

Seconde triomphatrice de la soirée, la non moins superbe Daniela Barcellona, qui offre un magnifique portrait de la reine de Carthage, aussi convaincante en femme amoureuse et séductrice qu’en amante trahie et abandonnée. Passant des imprécations de la fureur aux déchirements du désespoir, la voix se plie aux différents affects exprimés avec le même confondant naturel et électrise autant qu‘elle bouleverse. Son timbre chaud et charnu, son port aristocratique, sa superbe ligne de chant, son émission pleine d’autorité - mais qui sait se faire caressante quand la partition l’exige - lui permettent de chanter un « Adieu fière cité » particulièrement émouvant.

Son Enée est le ténor américain Gregory Kunde qui campe un personnage plein de fougue et d'éclat. Après un air d'entrée empli d'une énergie abrupte, il ne convainc pas moins dans le duo d'amour du IV, «  Nuit d'ivresse et d'extase infinie », délivré avec une infinie délicatesse, en voix mixte. Avec le Chorèbe de Fabio Maria Capitanucci, on resdescend de plusieurs crans : diction confuse et cavatine du premier acte « Mais le ciel et la terre » vociférée. Mieux en voix est Deyan Vatchkov en Spectre de Hector hiératique et sombre. Unique représentant du chant français, Alexandre Duhamel est un Panthée de référence, tandis que l'italienne Paola Gardina offre un Ascagne au timbre agréablement ambré. A Carthage, Maria Radner aurait gagné à être un peu plus présente face au Narbal sonore de Giacomo Prestia. Enfin, si Shalva Mukeria déçoit en Iopas, Paolo Fanale, aussi mélancolique de timbre que de chant, campe, lui, un bien beau hylas.

Au final, nous ne bouderons donc pas notre plaisir. S'il ne sert pas la partition, le spectacle ne le contrarie pas, et toutes les joies vocales et musicales qu'on éprouvent suffisent à nous persuader de la grandeur et de la beauté de ces Troyens, triomphalement salués par une salle pleine à craquer.

Emmanuel Andrieu

Les Troyens à La Scala de Milan

Crédit photographique © Brescia/Amisano - Teatro alla Scala

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